Thursday
Jun202013

Remise des insignes d’Officier dans l’Ordre de la Légion d’honneur

Cercle de l'Union interalliée - Paris
3 septembre 2012

Monsieur l’Ambassadeur, Chers Amis,

J’ai l’habitude de m’exprimer en public ou à la télévision… mais je dois avouer qu’en ces circonstances particulières, j’ai un peu perdu de ma faconde. Il est vrai que la plupart du temps mes interventions portent sur le dialogue des Cultures et des Religions…. Sur la paix… sur le Moyen-Orient…sur les relations avec Israël….(un de mes thèmes favoris) … et même sur l’Egypte... mais prendre la parole, aujourd’hui, à l’occasion d’un événement centré sur ma personne et en reconnaissance de l’honneur qui m’est fait d’être promu au rang d’Officier dans l’ordre de la Légion d’Honneur, n’est pas tâche aisée.

Je voudrais donc vous dire, tout simplement, que cette distinction me touche au plus profond. Vos propos, cher Jean Felix-Paganon, me sont allés droit au cœur et cette distinction que vous venez de me remettre m’emplit, je l’avoue, d’une immense fierté, parce qu’elle incarne un pays que j’aime, un pays où j’ai vécu plus d’un demi-siècle, un pays qui m’a appris comment concilier la foi et la raison. Et je vous avertis, cela n’est pas terminé, Dieu ne m’ayant pas encore convoqué pour une autre mission sous d’autres cieux.

Ce lieu, le Cercle de l’Union Interalliée, me renvoie d’ailleurs quelque 40 ans en arrière. C’était en 1969, j’étais venu assister, ici même, à une conférence sur l’avenir de la situation au Moyen-Orient, donnée par le Général d’Armée et Stratège, André Beaufre, grand spécialiste de la paix et de la guerre, mais surtout, pour nous, Egyptiens, l’homme qui avait dirigé le corps expéditionnaire français lors de la guerre de Suez en 1956. La présence d’un Egyptien dans la salle l’avait surpris et lorsqu’il m’a demandé ce que j’avais pensé de ses son analyse, j’ai osé lui dire : « Je pense que vous vous référez à des sources pour le moins partiales, ou pour être plus précis, émanant de votre vieil allié, le Général Dayan ».

Spontanément, le Général Beaufre m’avait répondu: « Il ne tient qu’à vous de diversifier mes sources».

Je l’ai pris au mot! J’ai immédiatement décidé d’écrire au Président Nasser, et osé lui suggérer d’inviter le Général Beaufre en Egypte. Mes amis n’ont pas manqué de souligner le caractère risqué d’une telle initiative. Mais dans mon esprit, la décision d’entrer en guerre relève toujours des gouvernements, rarement des militaires. A ma grande surprise, une semaine plus tard, Nasser invitait le Général Beaufre au Caire. Cela m’a appris la justesse de cette pensée profonde que l’ennemi d’hier peut devenir l’ami de demain. J’en veux pour preuve l’amitié profonde qui m’a lié au Général Beaufre jusqu’aux derniers jours de sa vie.

Cette rencontre exceptionnelle avec André Beaufre est très symbolique, je pense, des initiatives qui ont jalonné ma vie et mon engagement, fondé sur l’idée que la rencontre et le dialogue restent le plus sûr chemin sur la voie de la réconciliation et de l’entente entre les hommes.

C’est dans cet esprit que j’ai initié l’invitation faite par le Président Nasser à Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir et Claude Lanzmann à venir en Egypte en 1967. Or, Dieu sait que tous trois étaient de fervents partisans de la liberté à une époque où cette question était délicate en Egypte, pour ne pas dire plus. C’est aussi dans cet esprit que j’ai préparé le terrain à la signature, en 1998, d’un accord entre Al Azhar et le Vatican, initiative considérée par quelques musulmans conservateurs comme une intention de convertir les musulmans. Rassurez-vous, aucun musulman ne s’est converti !

C’était déjà dans cet esprit, qu’étudiant a l’Université de Paris, en 1959, j’avais accepté l’invitation du Directeur de Sciences Po, à débattre avec un membre de l’Ambassade d’Israël, Ephraim Tari. L’Egypte était alors en plein conflit avec Israël, et inutile de vous dire que Nasser a reçu, par la suite, de nombreux messages de protestation émanant de jeunes militants nationalistes arabes pour qui le seul fait de dialoguer avec l’ennemi était un acte de trahison, alors que selon moi , refuser de débattre, revenait à prendre la fuite.

Monsieur l’Ambassadeur, Chers amis,

Je pourrais, des heures encore, évoquer les grands moments de mon existence qui me lient si étroitement et si définitivement à la France, mais mon épouse Brigitte Lefebvre, - une Française, du reste - qui a consacré sa vie à me soutenir, et ici présente avec toute sa famille, m’a enjoint de faire court pour permettre à mon ami Jean-Félix Paganon de partir en mission dès ce soir. Je vous dirai donc simplement en guise de conclusion : Merci ! Merci mes chers amis, d’être auprès de moi aujourd’hui.