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Saturday
Mar092019

Madame Anne-Marie RECOVLEVSKI

Fondatrice et ancienne présidente du groupe Aladin

Le projet Aladin fut lancé à l’Unesco en 2009 et à cette occasion, énormément de  chefs d’état  du monde arabe, africains, européens, français, assistaient à cet événement tout a fait exceptionnel d’apporter au monde arabo-musulman la connaissance sur un événement du 20e siècle, qui n’était pas seulement, ni égyptien ni français, mais qui était un événement qui avait été une fracture dans l’humanité du 20e siècle. Et parmi ces différentes personnalités qui nous avaient fait l’honneur de venir à l’Unesco pour ouvrir et lancer le projet Aladin et bien, il y avait Farouk Hosni, le ministre de la culture qui était désigné par le président Moubarak. Il nous arriva alors par la bouche de Farouk Hosni une déclaration tout à fait exceptionnelle du président Moubarak, pleine de sagesse, de profondeur et d’une grande vérité et je ne doutais pas, à ce moment là, qu’Aly, que je ne connaissais pas, avait été un peu la plume de cette déclaration. Il y a ici le directeur d’Aladin de l’époque, qui est encore aujourd’hui directeur, Abe Radkin, qui a été associé bien sur à cet événement et qui continue à diriger le projet Aladin.

Alors à cette occasion,  j’ai rencontré le Dr Aly Elsamman et je dois vous dire que c’était le premier égyptien que je rencontrais ; alors nous avions quand même deux points communs, c’est que nous avions deux grands amis en commun. D’abord, Théo Klein dont, ma chère Brigitte, tu as parlé. Théo Klein est un ami de ma jeunesse avec lequel j’ai été liée d’une très longue et profonde amitié. Et puis il y avait quelqu’un que vous n’avez pas cite, et je crois qu’on  l’a aperçu dans un des slides, c’était Claude Lanzmann. Alors avec Claude Lanzmann nous avions aussi de grands liens, bien que l’amitié avec Claude Lanzmann était parfois un peu plus turbulente.

C’est comme ca donc que j’ai connu le Dr Aly Elsamman, ce qui fait qu’en 2009, quand je quittais la fondation pour la mémoire de la shoah, nous avons créé le projet Aladin, je lui ai tout naturellement demandé s’il voulait venir au conseil d’administration. C’était un conseil qui avait la particularité d’avoir non seulement des personnalités du monde arabo-musulman mais qui était à parité entre des messieurs et dames et je pense qu’Aly a été très content au conseil d’administration du projet Aladin de voir non seulement des prélats mais aussi d’éminentes personnalités féminines. C’est ainsi que j’ai mieux connu le Dr Aly Elsamman et Aly n’a cessé de nous aider et à chaque fois de nous inspirer. Et le premier souvenir que j’ai, est un souvenir très ému, puisque je suis allée au Caire, nous avions parmi les livres que nous avions traduits, nous avions traduit «  Si c’est un homme » de Primo Levi.

Nous l’avons traduit en persan bien sur, en arabe , en turc et nous avions décidé d’aller dans beaucoup de capitales du monde arabo-musulman pour faire la lecture dans les différentes langues de «  Si c’est un homme «  de Primo Levi et c’est donc avec monsieur l’ambassadeur Felix-Paganon , vous vous en souvenez sans doute,  Serge Klarsfeld et l’historien Simon Nora, nous sommes allés au Caire et qu’Aly Elsamman  a organisé tous les débats ; avec cette émotion je dois dire qui fut la mienne lorsque j’entendis dans la langue arabe que je ne connaissais pas le texte de Primo Levi dit avec beaucoup d’émotion par une journaliste. 

Ensuite avec Aly qui fut conscient de mon ignorance, c’est vrai que je devais admettre que je connaissais très peu l’Egypte, ni l’histoire du monde arabo-musulman, ni l’islam, et j’ai toujours vu son indulgence quand il m’expliquait, quand il me conseillait  certaines lectures et ce souvenir du Caire ou je fus un peu sous sa protection demeure pour moi un souvenir très émouvant.


La deuxième action dans laquelle Aly eut un rôle fut, parce qu’Aly, vous l’avez dit certains d’entre vous, avaient confiance aussi dans l’éducation et dans la jeunesse,  lorsque le projet Aladin lança ses premières université d’été qui consistaient à inviter des étudiants de tout le monde méditerranéen, d’Israël d’Egypte, Syrie, Jordanie , d’Europe , de France etc..

C’est Aly qui nous permit d’inviter des égyptiens, des etudiants égyptiens de l’université d’Ain Shams et des professeurs de cette université. C’est aussi ce dont je me souviens, car il tenait à ce que les étudiants qui sont le ferment de ce qui se passera demain puissent travailler ensemble à bâtir ce monde que  nous espérons un peu plus fraternel ; et puis, il y eut un autre événement qui fut très important, il n’y participa pas , nous avions organisé un voyage à Auschwitz dans lequel nous avions amené des personnalités très éminentes du monde arabe, du monde africain, d’Europe, et Aly n’y vint pas, car il était venu à Auschwitz, mais par son intermédiaire, nous eûmes un message aussi extrêmement important du président Moubarak qui fut un message d’espoir, qui fut un message de reconnaissance de ce crime contre l’humanité qui avait été un crime, comme il disait, contre l’Islam, et il demanda à l’ambassadeur d’Egypte en Pologne de se joindre à ce voyage.

Et puis la dernière initiative, malheureusement il n’est pas là pour en voir le jour. Ce livre m’a été remis il y a très peu de temps puisqu’il a été publié par le projet Aladin, il en fut l’un des initiateurs, « Connaitre la religion de l’autre ». Vous avez tous parlé du dialogue interreligieux, ce livre va beaucoup plus loin car pour Aly avec Monseigneur Vingt Trois, avec Ali Gomaa, avec les écrivains qui ont participé à l’élaboration de ce livre, le dialogue ne suffisait pas, il fallait que les théologiens,  ceux qui allaient former,  ceux qui allaient être les médiateurs de leurs opinions publiques, puissent connaitre un peu de la religion de l’autre.

Ce livre, commencé il y a 6 ans, vient donc d’être publié et il a vocation à être utilisé par les théologiens, les rabbins et les imams donc, de façon à ce que les jeune théologiens  connaissent un peu de la religion de l’autre, et ce qui est exceptionnel dans ce livre, c’est que ce livre n’est pas un livre apologétique ni syncrétique , chacun y décrit ce qui lui semble important pour l’autre de connaitre, pas forcement ce qu’il y a de commun, ce qu’il y a de différent, mais aussi de  l’expliquer.


Alors je voudrais terminer en vous disant ce qu’il a été pour moi, indépendamment  d’Aladin , il a été un homme d’une très grande gentillesse, qui avait confiance dans ce que je faisais et qui parfois, comme je vous l’ai dit, me conseillait certaines lectures. C’est grâce à lui  que j’ai découvert, à la fois, Naguib Mahfouz et Ali Al Aswani, et en parlant d’Al Aswani, je me souviens d’une discussion, et il n’y a pas si longtemps avant sa mort,  où nous avions parlé de la montée du radicalisme islamiste et je me souviens qu’il m’avait dit partager cette inquiétude, qu’en fait cet islamisme qui montait, qu’il ne comprenait pas , n’était qu’un symptôme et que la vraie maladie était la dictature.

Il était conscient qu’il y avait dans notre mondes deux fractures, il y avait d’un coté les fanatiques de la mort dans lesquels il ne se reconnaissait pas et puis il y avait notre monde, qui était un monde de recherche de plaisir immédiat, individuel, de satisfaction  parfois égoïste et face à cela, je crois qu’il partageait  ce sentiment, je sais que certains d’entre vous avait dit que jusqu’au bout il avait cru dans cette fraternité et qu’il y croyait plus que tout, moi j’avais perçu un certain pessimisme . J’avais le sentiment qu’il se demandait si nos références philosophiques, religieuses aujourd’hui tenaient encore la route et s’il ne fallait pas aller un  peu au-delà, et j’avais le sentiment, en prenant exprès ce terme, qu’il considérait que les bons sentiments ne suffisaient pas.

J’avais parfois l’impression d’avoir  un homme un peu plus désillusionné, avec cet espoir de fraternité dont vous avez parlé qui avait été le fer rouge de toute sa vie, mais dont le sentait la fragilité. Alors, si je devais résumer ce qu’il avait construit, pour moi, je dirai que, quelque soit les actions qu’il a menées et que vous avez tous partagées, c’était cette acceptation fondamentale qui l’avait guidé, de l’autre dans sa différence; c’était un point commun que je partageais et que Ricœur a très bien exprimé, » il faut comprendre, imaginer, entendre la souffrance d’autrui avant de ressasser sa propre souffrance ».

Et je vais le dire autrement, en faisant appel à un autre amoureux de l’Egypte, Lawrence Durrel, que la véritable maturité va toujours de pair avec une profonde compassion pour le monde et les gens. J’ai toujours senti chez Aly à l’arrière de ses analyses politiques ou religieuses, cette compassion à laquelle j’ajouterai ce courage de cette compassion, de ce courage, mon cher Aly, nous en avons beaucoup besoin.

Merci beaucoup.