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Saturday
Mar092019

Monsieur Jean FELIX-PAGANON

Ancien ambassadeur de France en Egypte


J’ai connu Aly El-Samman tardivement et pendant la courte période de mon second séjour en Egypte de 2008 à 2012. J’ai donc moins de titres que d’autres à lui rendre hommage ce soir. Et pourtant, je me sens autorisé à le faire, car c’est sans doute l’une des personnalités qui m’a le plus marqué.
Aly pour moi était un paradoxe: profondément égyptien, il était en meme temps d’une originalité et d’une singularité remarquables parmi ses compatriotes,  intensément nationaliste - au meilleur sens du terme, c'est-à-dire habité par l’amour de son pays- il était aussi animé d’une curiosité et d’une empathie exceptionnelle pour les autres cultures.

Sa position, à l’occasion d’un événement unique dans l’histoire de l’Egypte me parait significative. Il fut l’un des rares égyptiens à comprendre et soutenir le Président Sadate lors de son voyage à Jérusalem. J’étais au Caire pendant cette soirée extraordinaire. J’ai le souvenir d’une ville frappée de sidération, silencieuse, comme abasourdie. Le sentiment dominant n’était pas, me semble –t-il, le rejet ou la colère, mais l’incompréhension. Une incompréhension radicale devant des images télévisées perçues comme irréelles. Et je dois avouer que je faisais partie de ceux qui ne comprenaient pas. Aly, lui, avait compris. Il avait compris que ce qui était en train de se passer allait changer pour le mieux le cours de l’Histoire.  


Comment en quelques mots résumer une personnalité aussi riche, un caractère aussi fort, une âme aussi vivante? J’en retiendrais trois: la vision, le courage, la générosité.
Aly était un visionnaire. Son engagement pour la paix ne date pas de novembre 1977 que j’évo- quais à l’instant. Il venait de loin. Dès son éveil à la vie politique, il fut convaincu que  la confrontation perpétuelle menait à l’impasse. Alors que tous les analystes du Moyen-Orient se focalisaient sur la dimension politique et le fait national, il a très tôt compris l’importance centrale du religieux et donc  du dialogue interreligieux. D’autres que lui ont parlé ou parleront du rôle éminent qu’il a joué, dès le début, dans ce domaine. Il fut incontestablement un des trop rares intellectuels égyptiens à affirmer que la religion, la foi partagée, doit unir et non diviser.


Le courage en second lieu. Le courage de faire entendre une voix sinon solitaire, du moins tout à fait minoritaire. Le courage de se dresser contre les préjugés. Le courage de défendre la sagesse face aux emportements. Le courage, aussi et surtout, de tenir bon et de maintenir le cap alors que les vents contraires sont dominants et que tout semble aller au rebours de vos idées et de votre action. Certes, après Jérusalem, il y eut Oslo puis Madrid. Mais force est de constater que la solution de la question palestinienne demeure toujours aussi éloignée. Et que dire du retour en force du fanatisme religieux et de l’intolérance. Fut-il au soir de sa vie découragé par ces évolutions si opposées à ses espoirs. Pas le moins du monde. Il y voyait au contraire toutes les raisons de se battre avec une détermination renouvelée.


La générosité, enfin. Si j’étais un homme de religion, je dirais l’amour. Amour de la vie, dans sa richesse et sa diversité. Sens irréfuté du partage et de l’hospitalité, sans la moindre exclusive. Une curiosité insatiable pour l’autre, pour la différence, animée du seul désir de convaincre pour faire prévaloir la raison contre la passion, le dialogue contre l’invective. S’y ajoutait, ce à quoi ne saurait être indifférent un ambassadeur de France au Caire, un amour réel pour mon pays. Pays qu’il connaissait parfaitement pour y avoir passé une partie de sa jeunesse et auquel il était attaché par les liens les plus intimes. Notre réunion ce soir, à l’initiative de son épouse, en est le témoignage éclatant. Qu’elle en soit remerciée.


Un grand égyptien nous a quittés. C’était aussi, au sens le plus noble du terme, un citoyen du monde. A ce titre, l’honneur de son pays.
En reprenant la belle formule des débuts du siècle dernier, je dirais pour conclure que c’était « un homme de bonne volonté ».