Ali El-Samman: Qui, après lui, va gouverner le navire du dialogue interreligieux et le mener à bon port sur le thème: « Nous devons vivre ensemble dans la paix et la sécurité »
Al Magella 15/8/2018
Texte de Moncef El Mouzghani
Dessin de Ali El Mandalawi
1- Ali El-Samman est né au Caire en 1929 dans le quartier El Manial, alors que le royaume d’Egypte était sous occupation britannique. Il ne resta pas longtemps au Caire, suite à la mort de son père alors qu’il n’avait que 2 ans. Sa famille dut s’installer dans la ville de Tanta. Sa mère mourut alors qu’il n’avait que 4 ans et c’est sa grand-mère maternelle qui l’a élevé. Il fréquenta l’école primaire copte où il apprit entre autres sujets, comment inviter l’autre au dialogue.
Ce petit garçon musulman sunnite a appris que dans ce monde, vivent des croyants en d’autres religions monothéistes que la sienne, alors même qu’ils croient en un Dieu unique. Très tôt, il a pu ressentir les passions des autres. Cela lui a permis de comprendre la nécessité de la coexistence – et pas seulement le dialogue - avec les Coptes et les Juifs, ils sont tous fils d’une même mère, à savoir l’Egypte.
Tout au long de son éducation secondaire, il a fait la connaissance d’autres personnes et a acquis de nouvelles idées. Il a aussi pu s’informer des partis politiques qui militent contre l’impérialisme britannique. Il était intellectuellement attiré par les Frères musulmans mais les a quittés après qu’ils aient commis un acte de violence qu’il ne pouvait accepter, à savoir l’assassinat du juge Ahmed El Khazandar. Il prit distance des Frères musulmans et rejoignit la Révolution du 23 juillet
2- Comme tout jeune homme cherchant la vérité, mais aussi attentif aux idées de justice dans les pays occupés, il s’est tourné vers l’étude du Droit. Il obtint sa licence en Droit de l’Université d’Alexandrie en 1953, puis le Diplôme des Hautes Etudes en Droit international et Sciences politiques de l’Université de Grenoble en 1956. Pour conclure avec un Doctorat en Droit et Sciences politiques de l’Université de Paris en 1966.
3- La vie d’El-Samman s’est construite autour de sa quête interminable. Il avait une préoccupation permanente, presqu’une obsession qui ne l’a jamais quittée, à savoir la nécessité du dialogue des religions et des civilisations. Cette obsession l’a mené à occuper des postes consécutifs. Il fut vice-président du Comité permanent d’Al-Azhar pour le dialogue interreligieux, Conseiller du cheikh d’Al-Azhar pour le dialogue interreligieux et Président du Comité du dialogue et des relations islamiques au Conseil suprême des affaires islamiques d’Egypte. Sans oublier sa présence constante dans de nombreux organismes nationaux, arabes et internationaux concernés par cette question.
4- El-Samman a aussi connu le travail gouvernemental, et a pu devenir un modèle du patriote égyptien actif. Il a œuvré comme il le dit en «citoyen engagé » à l’époque d’Abdel Nasser. Il était notoirement connu pour ses initiatives politiques et diplomatiques sous la présidence de Mohamed Anouar el-Sadate qui le nomma Conseiller pour la communication extérieure. Il s’est battu pour identifier les incompréhensions au sujet des enjeux idéologiques et politiques. A cet égard, il a lui-même raconté des histoires intéressantes dans son livre autobiographie publié en 2012, intitulé «D’une révolution à une autre: Mémoires d’un citoyen engagé à l’époque d’Abdel Nasser, Sadate et Moubarak.»
5- Dr Ali El-Samman maitrisait parfaitement I‘arabe, sa langue maternelle. De plus, il parlait le Français et l’Anglais couramment. Il ne s’est pas contenté du dialogue et de la façon de le diriger, il a aussi publié de nombreux articles dans de grands journaux français, et a participé à des débats télévisés. Il donnait toujours l’exemple de la façon dont un vrai dialogue devrait être mené, avec modestie mais intransigeant au regard de la vérité, faisant une distinction ferme entre agnosticisme et athéisme, séparant bien les deux. Il croyait également que la conception du dialogue prônée par les Frères musulmans, était violente et inacceptable.
6- L’équipe de notre revue « Al Majalla», a perdu une plume unique, qui n’a pas d’égale. Il était un patriote et un humaniste, croyant profondément en tout ce qu’il faisait. Il a connu une vie heureuse mettant à l’épreuve sa propre humanité par l’acceptation de l’autre. Il était profondément affligé et affecté par les actes terroristes commis en Egypte et ailleurs dans le monde.
7- Notre cher disparu Ali El-Samman semble avoir mené sa vie personnelle à l’image de sa vie publique, en accord avec sa croyance dans le dialogue interreligieux. Son épouse, Brigitte, est chrétienne et il a choisi pour son fils unique, un nom commun aux trois religions monothéistes, Sam.
8- Dr Ali El-Samman a consacré sa vie à promouvoir son rêve et sa devise : « Nous devons vivre ensemble dans la paix et la sécurité», objectif qui n’a pas encore été atteint. Il a pu mener a bon port le dialogue interreligieux et interculturel vers la coexistence. Hélas, il nous a quittés, laissant à la boussole le soin de trouver un capitaine capable de gouverner le bateau du dialogue qui prêche l’amour. L amour doit triompher.