Tuesday
Jun112013

La nécessité d’un dialogue spécialisé 

Symposium international sur le dialogue des civilisations pour la coexistence
Organisation islamique pour la culture, les sciences et l’éducation (ISESCO) – Damas
18-20 mai 2002

J’ai des réserves à faire au sujet du dialogue des civilisations dans la mesure où chaque fois que nous organisons un séminaire, une rencontre ou une conférence sur ce sujet, c’est plus ou moins en réaction à ce qu’a écrit Samuel Huntington sur le clash des civilisations et l’islam, donnant ainsi prétexte aux occidentaux, cherchant un nouvel ennemi après la chute du communisme, d’appeler à la guerre sainte contre l’islam.

La publication du livre d’Huntington en 1996 nous a conduits à être sur la défensive en permanence, et je peux comprendre que cette situation ait pu durer un an, mais après cela, les gens devraient mettre tout en œuvre pour faire connaitre leur point de vue sur ce sujet.

Mon ami le Dr. Georges Jabbour a été l’un des premiers à penser à demander au Vatican de présenter des excuses pour les torts historiques commis envers les musulmans, notamment au temps des Croisades.

Par la suite, le Comité permanent d’Al-Azhar pour le dialogue entre les religions monothéistes a formulé la même demande dans un mémorandum adresse au Vatican. Envoyé en mars 2000, ce memo a été le premier document émanant d’une institution officielle islamique à aborder poliment cette question sensible dans le cadre d’un dialogue sincère. Je rends hommage au Dr. Jabbour qui a été un chef de file en la matière.

Pour travailler efficacement, nous devrions déterminer les différentes formes de dialogue à tenir et je pense que les priorités devraient être les suivantes :

• Le dialogue interreligieux, basé sur le principe simple que chaque religion vient en complémentarité de l’autre lorsque les participants recherchent des valeurs communes et trouvent un terrain d’entente facilitant la coopération. Cette forme de dialogue est déjà en train d’évoluer et d’être mise en pratique aujourd’hui.

• Le dialogue Est-Ouest, surtout depuis que ce concept a changé radicalement au cours des années. Comment peut-on parler de l’Occident dans son ensemble alors que des millions de musulmans y vivent et sont citoyens de ces pays? Rien qu’en France, il y a plus de 5 millions de musulmans, la plupart de nationalité française, dont environ 2 millions d’entre eux ont le droit de vote. L’Occident n’est plus l’Occident que nous avons connu par le passé. Ces millions de musulmans ont influencé et ont été influencés par l’Occident d’une façon telle que notre ancienne idée du dialogue Est-Ouest est devenue obsolète.

• Le dialogue politique qui requiert de notre part de déterminer les principes susceptibles de créer un équilibre avec l’Occident, même lorsqu’il pratique la politique de deux poids deux mesures en matière de liberté et de paix en soutenant l’injustice et en opprimant les victimes.

• Le dialogue économique qui vise à créer des entreprises conjointes avec les pays industrialisés nous permettant de participer au développement technologique au lieu de le recevoir après coup.

• Le dialogue entre les pays du nord et du sud de la méditerranée, non seulement au niveau gouvernemental mais aussi entre les peuples. En soutenant l’union Nord-Sud de ces pays, nous pouvons souligner comment la sécurité de cette région historique dépend de la coopération.

• Le dialogue pédagogique, surtout en matière de devenir des manuels scolaires, à la fois dans le monde islamique et l’Occident. C’est là un problème urgent. Dans les manuels scolaires, on enseigne aux enfants des idées fausses sur les autres, ce qui aboutit au rejet de l’autre une fois devenus adultes. Les scientifiques, les intellectuels et les historiens doivent trouver un moyen de corriger les faits historiques et les interprétations qui sont donnés dans ces manuels.

J’aimerais vous raconter une histoire vous montrant la gravité du problème, alors que j’étudiais à l’Université de Grenoble en France au moment où le Président Gamal Nasser a nationalisé le Canal de Suez en 1956. En réponse à cet acte, j’ai été surpris de lire, dans le quotidien français le plus important «Le Figaro», en première page, un article intitulé « Réveille-toi Martel ». L’auteur faisait référence à Charles Martel qui a arrêté les Arabes à la bataille de Poitiers.

L’auteur et le journal voulaient évoquer l’époque des Croisades pour soutenir la réaction de la France contre la nationalisation du canal de Suez ! Ils ont également attaqué Saladin le considérant comme un agresseur, ignorant le fait qu’il a mené la résistance contre l’invasion des Francs.

Quelques années plus tard, rencontrant l’auteur de cet article, je lui ai parlé de cette référence historique erronée. Sa réponse a été simple : « C’est ce que j’ai appris dans mon livre d’histoire à l’école».

• Le dialogue entre les professionnels des medias, dans la mesure où nous ne devrions pas sous-estimer l’importance des medias ici et en Occident. Lors de chaque conférence, nous mettons l’accent sur l’importance de donner la vraie image de l’islam, mais il reste toujours le problème des medias. Si nous pouvions participer à des rencontres avec des professionnels des medias spécialisés, nous apprendrions à communiquer plus efficacement. Comprendre la façon dont les medias internationaux travaillent nous aiderait à en tirer parti.

Dans cet esprit, je voudrais proposer une charte du dialogue soulignant deux principes sur lesquels nous devrions nous mettre d’accord avant de commencer tout dialogue:

Premièrement: Faire son autocritique, dans la mesure où l’autocritique c’est le respect de soi, le respect des autres et le refus de s’octroyer le monopole de la vérité.

Deuxièmement: Refuser la généralisation: Ne jamais parler de l’Occident dans son ensemble, ni de l’Amérique dans son ensemble, ni de la chrétienté dans son ensemble, ni du judaïsme dans son ensemble. Rappelons-nous que l’Islam nous enseigne de ne jamais généraliser. Quand Dieu parle des gens dans le Coran, Il dit toujours : « quelques uns », « certains d’entre eux » ou « beaucoup d’entre eux », sans jamais généraliser.

Humblement, je voudrais dire que l’autocritique et le refus de généraliser sont des mesures civilisées qui, placées dans le cadre d’une charte du dialogue, faciliteraient cette forme de travail dont nous parlons aujourd’hui et encourageraient les autres à y adhérer.

En conclusion, je voudrais vous dire que le Comité permanent d’Al-Azhar pour le dialogue entre les religions monothéistes est à votre disposition pour aider à mener à bien les initiatives dont j’ai parlées aujourd’hui.

 

Dr. Aly El-Samman
Vice-président, Comité permanent d’Al-Azhar pour le dialogue entre les religions monothéistes
Conseiller du grand imam d’Al-Azhar pour le dialogue interreligieux