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Saturday
Mar092019

Monsieur Bernard ESAMBERT

Ancient président du groupe Edmond de Rothschild France

Plutôt que de vous faire un exposé sur Aly, d’abord, pardon chère Brigitte, cher Sam, chers amis, plutôt que d’exposer la vie d’Aly ou plutôt la partie que j’en ai partagée, je dois me livrer devant vous à quelques flashbacks , car j’ai dans la rétine des souvenirs aigus de nos rencontres, de nos conversations ; mais d’abord un mot sur le sourire d’Aly, ce sourire qu’a d’ailleurs évoqué Jean-Pierre Chevènement, ce sourire était tout à fait étonnant, singulier, particulier. Il était tout à la fois chaleureux, bienveillant, caressant, lucide, mais, même quant vous aviez été mis à nu, vous n’en  sentiez  pas pour autant une impression désagréable ; ce sourire, ce regard, faisaient émaner une forme de sympathie qui masquait peut-être la lucidité très forte  d’Aly  à certains moments ; j’en ai plusieurs exemples dans l’esprit et je vais commencer par ce premier flashback , celui à l’occasion duquel j’ai rencontré Aly. Cela se passait dans le bureau d’Edmond de Rothschild, dans la banque duquel je travaillais à l’époque, et Edmond de Rothschild recevait bien sur beaucoup de gens à sa table et dans son bureau , des quémandeurs dans de nombreux cas, et nous avions bâti un système par lequel il me conviait à ces réunions et je lui amenais un certain nombre d’arguments techniques qui lui permettaient de refuser bien sur les demandes souvent un peu farfelues ou excessives dont il était l’objet ; et donc, quand j’ai été appelé à venir le voir, je savais qu’ il y avait dans son bureau un visiteur qui essayait d’obtenir de lui un prêt ou  un don financier important; et je suis donc arrivé dans son bureau, il y a quelques décennies, et j’ai vu un monsieur au regard sympathique, bienveillant , déjà  souriant, qui m’a regardé longuement , que j’ai salué, et à ma grande surprise, Edmond ne m’a pas donné la parole  pour le dissuader de lui demander quelques subventions  que ce soit et au contraire nous avons engagé la conversation sur l’Egypte et sur les problèmes du Moyen-Orient ;  le courant est passé aussitôt, et je pense qu’il passait presque toujours, tant ce sourire était,  je me répète volontairement, d’une certaine façon, envoutant; nous avons discuté et commencé à nouer cette amitié qui s’est prolongée jusqu'à sa fin. Voila pour le premier flash.


Le deuxième, c’était Villa Saïd, qu’ont bien connu un certain nombre d’amis de Brigitte, où nous dinions ou déjeunions de temps en temps avec Aly. Nous apprenions à  connaitre le thème qui l’inspirait le plus, celui qui l’imprégnait en permanence, c’était celui du dialogue,  il souhaitait le dialogue avec tous ceux qu’il rencontrait et surtout le dialogue entre les peuples et les institutions qui les représentaient, pour arriver  à la paix, la paix étant un autre de ses mots clefs,  et donc, à l’occasion de ce déjeuner chez Brigitte,  bien sur, la paix au Moyen Orient a été au centre de notre conversation.


Le troisième flashback  se passe cette fois-ci en Egypte, un peu plus tard en 1980, en mai 1980 pour être précis ; nous sommes dans un hôtel au Caire, Edmond de Rothschild, Aly et votre serviteur,  et Aly pénètre brutalement dans nos chambres et nous dit que nous avons rendez-vous avec le président Sadate dans deux heures dans  sa résidence d’été, préparez vous. Alors nous arrivons dans cette résidence au pied de laquelle étaient alignées quelques chaises longues en bois, sur lesquelles nous nous sommes plus ou moins bien assis ; le président Sadate est arrivé, et a commencé une longue conversation de deux heures, en réalité, plutôt  un long soliloque de deux heures, puisque Sadate nous a expliqué sa politique, son comportement au Moyen-Orient, posé bien sur un certain nombre de questions et demandé un « immense » service à Edmond de Rothschild. S’agissant des  positions évoquées par Sadate, je vais lever le secret et dire un mot, parce qu’on rejoint l’histoire ; elles portaient, bien sur, sur  tous les pays proches du Moyen-Orient.

Je ne vais pas entrer dans le détail sur tout ce qu’il nous a dit sur la Syrie, l’Iran et quelques autres pays du Moyen-Orient, sinon qu’il était parfaitement conscient que les choses risquaient de dériver, et de dériver de façon brutale. L’Irak est un pays dangereux et imprévisible, mais au Moyen-Orient, tout est possible :peut-être même une amélioration des relations entre la Syrie et l’Occident ; les Saoudiens  ont été d’accord sur sa politique vis a vis d’Israël ; puis,il nous a expliqué plus particulièrement ce qu’il avait l’intention de faire économiquement en Egypte qu’il voulait doter d’ usines de potasse, d’engrais , bref, j’ai vu en face de moi, se métamorphoser le chef de l’état égyptien en une forme de Georges Pompidou industrialiste , terrain sur lequel il nous expliquait ce qui lui paraissait non seulement possible, mais nécessaire, et  qu’il allait mettre en œuvre parce que c’était un homme qui déployait une forme d’énergie extraordinairement forte : (zone franche à Port-Saïd, industrie du charbon dans le Sinaï, exportation de ciment et d’engrais azotés,…) il parlait  l’anglais avec un fort accent guttural allemand qui rendait son langage  assez curieux mais très compréhensible. 

Nous échangeons donc  ces propos en anglais, et  il est revenu à la situation au Moyen-Orient en disant, voila, je sais que tout ce que j’ai fait  est audacieux, tout cela n’ira pas forcément à son terme pour moi avec Begin mais se poursuivra avec Rabin un jour. Et nous obtiendrons, quand je dis nous obtiendrons, cela ne sera pas forcément moi, nous obtiendrons la paix, elle est nécessaire, tant nous avons de choses à faire ensemble dans cette région du monde. Cela a duré deux heures,  cela a  été vraiment un soliloque jusqu’au moment où on a compris la raison de cet entretien.

Anouar el Sadate  s’est tourné vers Edmond de Rothschild et lui a dit, votre grand-père qui porte d’ailleurs le même prénom que vous, a, en Israël, développé il y a longtemps  l’agriculture de façon spectaculaire et j’aimerais bien que vous m’aidiez à faire de même en Egypte, vers la Haute Egypte d’une part et vers le delta du Nil. Edmond de Rothschild a bien, tout de suite, dit  son enthousiasme pour accepter cette mission, et effectivement, quand nous avons quitté Sadate, des ministres de son gouvernement ont pris contact avec Edmond et votre serviteur,  et se sont  enclenchés un certain nombre de travaux sur cette irrigation du sud et du nord de l’Egypte. Après l’assassinat de Sadate, malheureusement, rien de tout cela ne s’est poursuivi, et c’est là le glas d’une belle occasion, à la fois de développer l’Egypte et de créer des liens plus étroits entre la France et ce beau pays.  


Quatrième et peut-être dernier ou plutôt avant dernier flash, cela se passe à Paris : nous dinons tous les six , il y a Aly , Brigitte, mon épouse,  Theo Klein et la sienne,  et nous échangeons des  propos sur les problèmes du Moyen-Orient ;  bien entendu, impossible de ne pas se mobiliser d’arrache pied, de façon permanente,  sur ce thème , et Theo, Aly et votre serviteur, tombons rapidement d’accord sur un certain nombre de principes que malheureusement la réalité n’a pas voulu concrétiser pour différentes raisons , sur lesquelles je ne m’étendrai pas, car elles prendraient le reste de la soirée.


Voila, il y avait là avec Aly, Théo et nos épouses, comment dire, une réunion un peu mythique pour moi, tous très chers amis que j’avais en face de moi étaient des personnes que je révérais, que j’admirais et que je respectais profondément ; donc, j’espère, et  souhaite vivement à Aly, où il se trouve, de continuer à nous regarder de son œil chaleureux et malicieux, et de nous aider,    
 nous pauvres terrestres, encore pour un certain temps, à nous aider à faire éclore une forme de paix et de dialogue au Moyen-Orient. Je vous remercie de m’avoir écouté.