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Mar292012

Je refuse de réduire l'Islam au port du voile, Farouq Hosni fait face à des tribunaux d'inquisition 

Al Masry Al Youm, 27/11/2006

Quand on parcourt les quatre coins du monde, connaissant la culture des différents pays, gardant pour soi les secrets des leaders mondiaux, interviewant les grandes figures sur le plan mondial, on n'a pas le même regard que les autres vis-à-vis des situations et des querelles quotidiennes.
Dr Aly El-Samman ne voit pas les propos de Farouq Hosni au sujet du hijab (le voile) comme nous le faisons, nous journalistes, qui fouillons pour tomber sur du neuf, ni même comme les gens qui soutiennent ou critiquent le Ministre Hosni. Dr Aly El-Samman perçoit l'affaire comme une perte de temps et comme une entrave pour nos médias, projetant ainsi une image négative des Egyptiens à l'étranger.

De son appartement situé dans une tour, donnant sur le Nil, près de la résidence du Président Sadate, D. Elsamman trouve que tout le monde a réagi comme l'auraient fait les tribunaux d'inquisition du Moyen-âge. Ils ont tous oublié les réalisations de cet homme et son long parcours et se sont contentés de l'atteindre moralement. Dans la présente interview, Dr Elsamman a établi une liste de sujets qui devraient nous préoccuper dans de telles circonstances, pour éviter de donner l'impression que nous sommes une société caractérisée par de simples réactions, laissant les actions aux autres.
Dr Elsamman a donné depuis quelques mois le fruit de son expérience de la vie et de la politique en écrivant un livre intitulé " Les Feuilles de ma vie ", focalisant sur ses efforts déployés en faveur du dialogue avec l'Autre. Il ne veut aucun intervenant malveillant entre lui et Al-Azhar; pourtant il ne nie pas sa démission justifiée du Comité du Dialogue des Religions. Il propose plusieurs points de vue dans ce domaine et propose aussi un système différent pour sélectionner les membres du Centre des Recherches Islamiques. Voici l’intégralité de son interview:

Que pensez-vous de l'affaire actuelle du hijab; dans quel camp vous classez-vous? Comment voyez-vous la façon avec laquelle Farouq Hosni, le gouvernement et les députés de l’Assemblée du Peuple gèrent cette affaire?
Le commentaire essentiel et concis par lequel je voudrais commencer, c'est que je refuse de réduire l'Islam en un seul mot à savoir : le hijab. C'est-à-dire qu'on déploie, actuellement, des efforts au sujet de ces propos polémiques tout en mettant de côté les valeurs de l'Islam. Je refuse également le concept de «la littéralité de la religion» et le fait que la religion soit une exclusivité pour des gens en particulier. De même, je refuse et confirme :« il n'est pas admis, dans un moment de colère, de tourner une page pleine de réalisations d'un homme ou d'une institution en particulier et ne se focaliser que sur une simple déclaration. Le plus important, c'est de se défendre avec une bonne argumentation, une sereine réflexion, et ne jamais recourir à la politique de la voix haute». Au sujet de la crise actuelle concernant le hijab, je tiens à confirmer que les réactions ont pris une ampleur exagérée.

Quelles sont les limites de vos rapports avec Farouq Hosni ?
Je ne l'ai jamais rencontré autour d'un déjeuner ou d'un dîner, mais aujourd'hui je le soutiens fortement. A supposer qu'il ait commis une erreur lors de son discours, ceci n'exclut pas le fait de prendre en considération ses réalisations et l'histoire de son long parcours. Avant d'aller plus loin dans cette question, j'imagine que la crise a commencé lorsqu'il a accepté de faire une déclaration pour la presse par téléphone ce qui a entraîné des équivoques et des malentendus. Ce type d'entretien est plutôt un papotage, raison pour laquelle je refuse ce type de déclaration. Je retourne aux propos de Hosni pour dire : «A supposer qu'il ait commis une erreur, serait-il, en revanche, admissible de voir effacer toutes ses réalisations en un clin d'œil par les médias, les députés du parlement, voire le gouvernement lui même?» Tous ses accomplissements ont été passés sous silence. Je connais le nombre de ses réalisations par cœur, pourtant je n’ai aucune relation personnelle avec lui. Mais, en accompagnant certaines délégations et amis étrangers lors de leur visite des sites archéologiques, islamiques, chrétiens, ou pharaoniques, j'ai vu qu'il était au service de l'Egypte et de l'Islam aussi. Ses réalisations sont visibles dans les domaines artistiques et culturels. Elles sont aussi visibles lorsqu'on constate la multiplication des troupes théâtrales et des orchestres, au Caire et même au sein des gouvernorats. Voilà pourquoi, je pourrais ne pas approuver ses déclarations, et toutefois le soutenir dans cette crise.

Que pensez-vous des conséquences ultérieures à la crise et la façon avec laquelle le Parlement, le gouvernement et les médias ont géré l'affaire?
J'ai plusieurs remarques à signaler à ce sujet, mais je ne veux pas faire partie d'une affaire évoquée sur la place publique. Je refuse pourtant ce langage banal qui compare ceux qui résident en France à ceux qui ont passé leur temps dans la capitale. Moi-même, j'ai passé quarante ans de ma vie en France au service des causes égyptienne et musulmane. C'est en France, aussi, qu'a vécu l'Imâm Mohamed Abdou, le Cheikh Afghani Refa'a El Tahtawi. A l'époque contemporaine, le Cheikh Abdallah Drazya y a vécu entre 1936 et 1948. Il a obtenu son doctorat et son diplôme d'Alameya ensuite, à son retour, on la nommé Professeur à la Faculté «Oussoul Al Dine» pour les études des principes des fondements de la religion jusqu'à son décès en 1958.
Cet homme m'a épaté, quand j'ai visité sa bibliothèque à Paris et consulté ses références et ses livres. J’ai constaté l'ouverture sur de nouvelles perspectives permettant de bien comprendre la grandeur et la civilisation de l'Islam. A propos de ce qui a été dit au sujet des gens qui ont passé de longues années dans la capitale française par les parlementaires, les Députés du Parti National ou de l'opposition et qui sont fiers de la condamnation de Hosni, je dirai que c'est plutôt un langage proche de celui des tribunaux d'inquisition. Malgré ce langage inadmissible, je souligne que ceci est complètement.
L'homme cultivé ne doit pas aller aussi bas pour répondre ou faire des commentaires sur un sujet pareil. Mon évaluation de la situation est faite. Je précise ma pensée, évaluant cet événement, pour dire qu'au moment du conflit, nous ne devons pas oublier les réalisations de cet homme au cours de sa vie. Je répète qu'il est injuste de réduire l'Islam au concept du voile. J'ai vécu en France pendant plus de quarante ans travaillant pour la cause des Musulmans. J'ai vécu, là bas, des conflits avec les différents Ministres de l'Intérieur pour obtenir les droits des Musulmans tout en m'opposant à l'extrémisme.

Que pensez-vous de la réaction des députés des Frères musulmans, à propos des déclarations de Farouq Hosni concernant le hijab?
Que soit maudite la politique !

Pourquoi ?
Parce qu'en principe le sujet religieux ne doit pas être un sujet de polémique ; la religion est un message d'harmonie et d'alliance, en revanche, la politique a toujours œuvré pour que la religion soit au service de ses propres intérêts. Souvent, elle agit, aussi, pour que les religions demeurent en otage. Je confirme que ce concept s'applique à tous. Je répète qu'il faut, et qu'il est important pour nous tous, de bien choisir les manières de réagir et de revenir au dialogue calme et rationnel, afin de répondre à la pensée par la réflexion et non par une liquidation morale des autres. La politique est soupçonnée d'être derrière cette campagne dès le début ; il me semble que c'est vraiment clair. Si seulement on pouvait détacher la religion de ce que j'appelle la bourse de la politique et son langage ainsi que les manœuvres et les surenchères. Nous avons besoin d'une religion tolérante, permettant à l'autre point de vue de s'exprimer tout en acceptant ses critiques. Mais il existe une grande différence entre la critique et la liquidation morale. Je signale que l'intention de la liquidation morale de Farouq Hosni était voulue de la part de ceux qui ont mené la campagne.

Vous avez fait jusqu'à aujourd'hui, tout en croyant à l'idée du dialogue des religions, beaucoup de réalisations dans ce domaine, même malgré les attaques de quelques uns, concernant vos rencontres avec les religieux juifs. Votre action reste très importante, mais après les déclarations du Pape Benoît XVI, croyez-vous que le Cheikh d’Al-Azhar et l'opinion publique continuent à croire aux résultats de ces dialogues?
Je commencerai ma réponse en vous disant que nous exigeons des institutions du dialogue plus que leurs capacités pratiques et réelles le permettent pour réaliser ce qu'on leur demande. Quand un grand choc surgit, nous rediscutons du rôle qu'on doit jouer et de son utilité. J'ai toujours pensé qu'un comité composé de cinq membres n'est pas habilité à être responsable de toutes formes de dialogue avec l'Autre. Nous avons une idée pour mener une meilleure action afin d'activer tout ce que possède le monde musulman dans ce domaine en exploitant les moyens modernes en vue de transmettre notre message au monde entier. Al-Azhar a le droit d'adapter ses moyens selon ses propres perspectives. Il faut que nous évaluions les ressources humaines en fonction des moyens matériels. Lorsque vous m'interrogez au sujet du dialogue des religions, je dis :« Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir» et je dis encore : «Cela ne suffit pas». Je me souviens que lors d'une de nos réunions avec le Vatican, nous avions discuté de « l'élévation spirituelle » et évoqué le concept d' « éviter de généraliser les jugements », et par la suite, ce concept a été concrétisé dans des programmes pratiques. J'espère ne pas se contenter de s'occuper des crises uniquement au moment du choc. Mais, je dis : «Oui nous devons mener, en permanence, un travail professionnel, scientifique et méthodologique pour envisager toute crise », Sur ce point précis, je voudrais insister sur le fait que nous devons aller vers ce qui nous unit et non vers ce qui nous sépare, conformément à une méthode moderne, effective et basée sur la raison dans notre rapport avec l'Autre. Je ne veux pas dire qu'il suffit de réagir uniquement au moment de crise.

Avec les moyens actuels du Comité du Dialogue à Al-Azhar, et le fait que vous l'ayez quitté, est-il toujours possible de tenir ce rôle?
Je suis convaincu que le Comité du Dialogue actuel sous la direction de l'Adjoint du Cheikh d'Al-Azhar est capable de réaliser cela.

Puisqu'on parle d'Al-Azhar, quel est votre avis en ce qui concerne la réclamation de l'évolution d'Al-Azhar par le moyen de développement de ses programmes, son mécanisme ainsi que les lois qui organisent ses relations avec l'Etat?
Je ne porte pas de commentaire du point de vue politique mais j'aimerais exposer devant ceux qui prennent les décisions en ce qui concerne la formation du Comité des Recherches Islamiques au sein d'Al-Azhar, qu'il est important que le Comité comprenne également parmi ses membres d’autres nationalités ; ce que la loi permet. C'est un enrichissement de ce que j'appelle l'universalité du rôle d'Al-Azhar. Il existe des conventions de coopération et d'échanges culturels mais je préfère que l'Islam d'Indonésie, du Nigeria, de l'Europe et de l'Amérique soit représenté au sein d'Al-Azhar.
Je crois que cette idée pourrait être discutée et appliquée. Je reviens au rôle d'Al-Azhar pour les Musulmans ou le dialogue avec l'Autre. En effet il me semble que l’élément humain est plus important qu'on ne l’imagine. Aujourd'hui, il ne suffit pas de parler l'anglais mais plutôt de comprendre la mentalité à laquelle s'adresse votre message ; il y a une différence entre la mentalité asiatique, africaine mais aussi entre l'anglaise et l'américaine. Dans ce domaine, je pense que les institutions du dialogue dans le monde musulman auraient dû, bien plus tôt, se réunir et prendre un minimum de coordination mutuelle. Les institutions de l'Égypte, de l'Arabie Saoudite et de la Jordanie, à titre d'exemple, doivent se coordonner entre elles surtout quand il s'agit d'une grande cause évoquée sur la scène internationale.

Si on vous demande de revenir au Comité du Dialogue après votre démission justifiée présentée au Cheikh d'Al-Azhar, est ce que vous reviendriez?
Je me suis fixé un grand principe : je ne permets à personne de me mettre en conflit avec Al-Azhar sur ce plan.

Malgré votre démission justifiée ?
J'avais des raisons ; quand le Grand Imâm m'a dit : «je ne veux pas qu'il y ait une rupture» j'ai, tout de suite, accédé à sa demande. Je ne veux pas entrer dans de plus amples détails.

Avez-vous envoyé des messages de soutien à Farouq Hosni?
Non, je n'ai rien fait ; ce n'est pas ma façon de procéder mais j'ai décidé de le soutenir. Même s'il a exprimé des idées avec lesquelles je ne suis pas d'accord, mais je n'accepte pas le comportement qu'on a eu à son égard qui ressemble à celui des tribunaux d'inquisition. Le plus important, c'est que je me suis entretenu avec certains responsables et je leur ai fait savoir que dans certains combats, il ne faut pas qu'on se taise mais au contraire, il est de notre devoir de parler. Il me semble que l'effort que nous avons déployé pour cette affaire aurait pu être investi dans des affaires plus importantes pour les Musulmans, tel que le rôle de l'Islam au sujet de son rayonnement par exemple. Si nous nous étions concentrés sur notre travail et surtout sur la place des autres religions dans l'Islam, cela aurait été beaucoup mieux.
Je peux vous citer plusieurs exemples concernant des efforts fructueux dans le domaine de la prédication et du dialogue, qui semblent avoir plus d'intérêt. J'ai proposé au Ministre des Waqf (biens religieux), que le discours religieux ne soit plus le monopole de l'État et qu'il faudrait que chacun y joue un rôle. Il est aussi important de préciser notre discours vers l'Autre. Comment dire aux non-Musulmans qu'ils ne doivent pas se précipiter dans leurs jugements et prendre tous les Musulmans pour des partisans d'Ossama Ben Laden. Il est aussi important de ne pas généraliser les jugements et penser que Benoît XVI représente tout le Christianisme. Je pose la question à certains de ceux qui s'intéressent uniquement à la question du voile : avez-vous entendu parler de l' « ordre des Franciscains »? Son fondateur est Saint-François d'Assise, en référence à la ville d'Assise. Cet homme s'est opposé aux Croisades de la même manière que nous nous y opposons aujourd'hui et en faisons notre ennemi. Avec ce type d'ordre religieux on pourrait discuter et même coopérer. Je suis allé il y a quelque temps avec les membres de cet ordre à Assiout pour donner une conférence sur le dialogue et j'ai prononcé la meilleure de mes formules « la fraternité nationale » qui puisse être dite dans tout entretien entre Musulmans et Coptes en Égypte. J'ai reçu des réactions immédiates de la part de certains qui assistaient à la conférence, disant que les gens en ont assez et sont fatigués des mots. J'ai répondu que j'entendais par là, deux lignes en parallèles : le dialogue et le développement et ce que j'ai appelé « la dimension sociale » ou la philanthropie sociale. Nous avons, tout de suite, appliqué cette idée en acheminant une caravane médicale, partant du Caire, à destination de certains villages d'Assiout. Quatre médecins y participaient ; ils ont ausculté 300 malades, et leur ont prescrit des médicaments gratuitement. Cela signifie que l'action caritative est facile à entreprendre si on a la volonté et si on se met à l'écart des querelles. Durant mon séjour à Assiout, j'ai eu une autre idée : fonder un fond social communautaire, sur le modèle du « fonds social officiel » ; et c'est ce qui a été fait et a porté ses fruits. Il arrive qu'apparaissent des signes de frustration après avoir été enthousiasmé par une idée, mais, Dieu merci, il y a toujours des signes de bons augures, que j'appelle toujours « les sources de l'espoir ». Il y a à Assiout, des gens respectables, comme la famille Khashaba, qui m'avait contacté et dont ses membres ont été les premiers donateurs. A mon retour, j'ai été contacté par certains hommes d'affaires, parmi lesquels Mohamed Farid Khamis, qui m'a surpris en disant : « Ne m'oublie pas dans cette action de bienfaisance »

Que pensez-vous du discours religieux actuel dans les mosquées et les médias ?
Parfois, je rentre dans une petite mosquée pour faire la prière, j'écoute le prêcheur, et je remarque qu'il dépasse certaines limites. Il m'est arrivé d'aller vers l'un d'entre eux pour lui dire : «Vous avez dépassé certaines limites». Cela se passe avec courtoisie, et je lui expose mon avis. Il est tout à fait possible qu'il y ait un échange; et cela est le langage le plus facile, simple et direct pour réformer le discours religieux. J'écris et je dis beaucoup que la religion refuse la généralisation des jugements. Les valeurs les plus importantes sur lesquelles nous devons nous concentrer actuellement dans notre discours religieux sont bien claires. Notre religion a organisé toutes les relations sociales et politiques en temps de guerre et en temps de paix. On remarque que le Coran a organisé les comportements humains comme s'il s'agissait d'un Livre de lois internationales.

A cette occasion, qui, d'après vous, a le droit à la parole en matière de la religion, alors que nous assistons, actuellement, à une profusion de Fatwas de tous les côtés?
Evidemment, il y a des gens qui ont été formés et entraînés afin de parler de la religion et de travailler dans ce domaine.

Est ce qu'ils sont les seuls à avoir le droit de lancer des Fatwas?
A mon avis, non. La porte est ouverte, mais à une condition essentielle : avoir une grande connaissance du Coran et de ses principes fondamentaux. Puis, enfin, ce sont les sages parmi nous qui décideront qui est le plus apte à lancer une Fatwa. Ainsi, avec le temps, les gens pourront distinguer le bon du mauvais. L'opinion publique fait, en fin de compte, une sorte de tri pour choisir celui en qui on pourrait avoir confiance. C'est la raison pour laquelle on distinguerait le fossé qui sépare les incidents de route accidentels du parcours sain et serein d'un grand fleuve.

Qu'elle est votre opinion sur le fait d'imposer des restrictions relatives à la délivrance des fatwas par des non-spécialistes en la matière ? Sachant que ce type de fatwas prêtant à la polémique a été critiqué par certains savants, entre autre le Mufti Dr Ali Goma'a?
En toute neutralité, je dis que quand on a un Mufti du calibre d'Ali Goma'a, on n'a pas besoin d'autres Muftis sur place. Mais je ne recommande pas une loi légiférant des restrictions concernant la délivrance des Fatwas. Pourtant, il y a des gens qui appliquent leur propre théorie : s'éloigner de la bonne voix exigée par Dieu c'est attirer l'attention des medias dans ses Fatwas. Dans un cas pareil, il faut donner du temps au temps pour séparer le bon grain de l'ivraie. A cet égard, je conseille que celui qui veut émettre des Fatwas doit être, à la fois, croyant et savant. L'ordre coranique « Lis » me fascine, car il porte beaucoup de sens : Comprends puis parle. Je suis déçu quand je constate des réactions islamiques au sujet d'un événement quelconque. Celles-ci ne sont qu'une expression émotionnelle, ce qui est tout à fait humain et compréhensible.
Pourtant il faut poser ensuite une question essentielle : « Que doit-on faire? » Je tiens à dire que la religion de l'Islam constitue une équation rare entre la raison et les sentiments. Il est normal qu'on exprime notre protestation lors des crises et des chocs, mais il faut que cette protestation soit suivie d'un langage rationnel. En effet, suite à la crise des caricatures qui portaient atteinte au Prophète, au Danemark, j'ai écrit que ceci nous a poussé à préparer un projet rationnel car je crains qu'on dise un jour que "les cris et les tumultes" sont devenus le langage des Musulmans, alors que les autres passent au langage de la raison et de l'action. Lors du dernier Colloque du Conseil Supérieur des Affaires Islamiques, j'ai présenté une intervention intitulée « Invitation au Rationalisme ». J'y ai signalé qu'il est important d'avoir recours dans cette affaire de caricatures au Nations Unies. L'idée a été réalisée et une équipe de haut niveau présidée par Dr Fouad Riad a formulé ce projet.

Est-ce que l'ONU a pris une décision concernant ce projet ?
Non, pas encore mais le projet est, en effet, présenté à l'ONU. Et je crois qu'il verra bientôt le jour. La vraie valeur de ce projet concerne la condamnation du mépris de toutes les religions. Les Juifs ont œuvré plus de vingt ans pour faire passer le projet "d'antisémitisme". Nous planifions pour que celui qui méprise les religions soit considéré comme un criminel international, exactement comme l'antisémite. Dans ce sens, nous devons nous rendre compte que les médias sont devenus des partenaires importants dans l'établissement d'un dialogue avec l'Autre. J'imagine que nous avons besoin de vingt personnes parmi les hommes sages des médias en Europe en vue d'établir un dialogue avec eux dans les circonstances actuelles. Nous avons fait des rencontres avec des hommes sages des médias en Europe, grâce à l'effort de "Benita Ferrero" ancien Ministre des Affaires Etrangères d'Autriche. Je reprends la question de la terminologie du discours religieux pour dire : Il faut se contenter du fait que la Zakat en Islam n'est pas exclusivement distribuée aux Musulmans, preuve de la noblesse de cette religion. Il ne faut pas perdre notre temps en posant des questions telle que faut-il dépenser l'aumône et la Zakat à l'intérieur ou à l'extérieur du pays ? Par contre il faut avoir un agenda pour des dépenses caritatives. Imaginons le sentiment des gens, quelque soit leur religion, qui diront que ce bienfait est l'œuvre d'un Musulman. J'aimerais aborder aussi un autre sujet important et audacieux qui concerne les relations entre Musulmans et Chrétiens en Egypte. Si je cerne ce cas, je dirai aux Musulmans qui dépassent par leur comportement toutes les règles jusqu'à arriver á violer les principes humains, qu'ils sont en train d'attaquer en réalité les valeurs humaines divines. Dieu a créé les hommes différents pour dialoguer, se découvrir et connaître l'un l'autre. Ceci est mieux que de parler des émeutes à base religieuse ou à base sectaire.

Quelles sont les racines de vos connaissances étroites de la culture chrétienne et de votre compréhension approfondie de l'Islam en même temps?
Ceci a commencé à la ville de Tanta. Ma grand-mère me réveillait pour faire la prière du Fajr (l'aube), mais elle m'a aussi donné le choix d'étudier à l'école des Coptes située dans la même ville. Je me souviens que j'ai insisté à laisser l'école gouvernementale à la fin de l'année scolaire, car je n'étais pas en bons termes avec un des enseignants. Voulant me faire plaisir, ma grand-mère a accepté de me transférer à l'école des Coptes, associée à une église. J'y étais presque le seul Musulman. Je pratiquais ma religion en toute discrétion. Très jeune, je ne sentais aucune contradiction dans ma formation partagée entre des études effectuées à l'école annexée à une église et ma prière du Fajr (de l'aube) avec des Musulmans à la Mosquée de Sayda Nafissa. Je suis convaincu que l'Egypte est le meilleur berceau pour le dialogue entre les différentes religions et le rapprochement entre les différentes Ecoles doctrinales musulmanes.

L'Egypte pourrait assurer une certaine entente entre sunnites et chiites. Commençons par un principe musulman clair et simple: « Allah faites de sorte que nous soyons parmi ceux qui rassemblent les gens et non pas ceux qui les séparent ». Examinons d'une manière calme et profonde les différences entre les deux mazhabs (doctrines), et mettons-nous d'accord pour mettre en action les efforts de rapprochement entre sunnites et chiites. Sur le plan politique, je crois que les politiciens sont aujourd'hui mieux préparés que jamais à ce genre de rapprochement. Ils défendent l'union des Irakiens; c'est la preuve qui montre que cette union n'aurait jamais eu lieu sans le rapprochement entre les sunnites et les chiites d'Irak.