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Mar292012

Les attaques contre les religions en occident ne visent pas uniquement l’Islam : Les caricatures du Prophete au Danemark sont dues à l'ignorance de l’Autre 

Al Masry Al Youm, 02/03/2008

« Publier a nouveau les caricatures danoises constitue une grande injure, mais elle est loin de la mauvaise foi; c’est le résultat de la méconnaissance de la culture de l’autre » ainsi le docteur Ali Elsamman, le président de l’ADIC a-t-il décrit le rebondissement de la crise des caricatures danoises, en critiquant la réaction des peuples et des gouvernements qui ont sous-estimé les communautés musulmanes et non pas cherché de solution pour éviter les confrontations.

Elsamman a mentionné qu’il pratiquement finalisé son projet portant sur « un nouveau langage pour le dialogue des religions » qu’il avait déjà annoncé lors le colloque qui s’est tenue a Madrid, le 15 janvier dernier. Lors d’une tournée commencée il y a deux semaines, a Paris, où il a participé au colloque sur «la Réconciliation pour la mémoire de Jérusalem », il a exposé des propositions qu’il avait préparées, devant vingt cinq institutions civiles pour le dialogue entre l’Amérique et l’Europe, afin qu’elles participèrent a la réalisation de son projet. Ce dernier vise, à travers les cinq points qu’il a définis, a rendre effectif le dialogue actuel qu’il a qualifié lors de son interview avec Al Ahram, de « dialogue des sourds ».

Moins de deux ans sont passés depuis la publication des caricatures du Prophète au Danemark. Et voici que l’histoire se répète, quelle est donc votre analyse de la situation actuelle ?
Une étude calme, rationnelle et analytique de ce qui s’est passé, n’est ni une injure ni l’expression de mauvaise foi. Celle-ci est due à la méconnaissance de la culture de l’autre, et certains ont exploité cette situation.

Dans ce contexte, comment évaluez-vous les réactions sur les deux plans : populaire et officiel ? Dans la mesure où les gouvernements n’ont pas réalisé l’importance de leurs communautés dans les pays européens, pour le rapprochement des peuples, une grande partie de ces communautés ont adopté une attitude presque fondamentaliste. Et, au lieu d'orienter ces réactions vers la croyance qui dit que le dialogue est un élément intrinsèque de l’Islam, cela les a poussés vers l’extrémisme, ce qui mène directement au terrorisme.

Niez-vous ainsi que ces caricatures très offensantes pour les communautés musulmanes, ont à nouveau mis le feu aux poudres entrainant une réaction violente des peuples ? 
Je ne le nie pas, mais je souligne que ce qui est plus dangereux que l’offense générée par la publication des caricatures c'est l'ignorance de l’Autre. Cela a entraîné cette vague de réaction dont nous avons été témoins.

Cette persistance en l'ignorance de l’Autre signifie-elle que nous serons toujours l’objet de réactions?
Certes, tant qu’il y aura des gens qui ne comprennent pas que ce que l’on appelle en Occident, la liberté d'opinion et d’expression, a une portée historique que nous devons saisir. L’occident insiste sur l’importance de la liberté d’opinion et d’expression sans restriction, alors que les adeptes des religions tiennent à imposer des limites à cette liberté.

A votre avis, quel est le moyen de mettre fin à ce désaccord entre les deux parties pour les rapprocher ?
D’abord, la distinction entre le dialogue des religions et des cultures, ensuite la reconnaissance que le dialogue actuel entre l’Occident et les adeptes des religions est un « dialogue de sourds » qui ne suffit plus. Il faut une réconciliation historique entre les deux parties.

Est-ce pour cela que vous avez lancé un appel au dialogue des cultures ?
Cet appel, nous l’avons déjà lancé lors de la cession de travail tenue, en accord avec docteur Hamdi Zakzouk, en marge du colloque organisé par le Conseil Suprême des Affaires Islamiques qui a eu lieu il y a deux ans, juste après la publication des caricatures du Prophète au Danemark. L'importance de cet appel au dialogue des cultures et des religions a été soulignée, et je crois maintenant qu’elle est la base de toute réconciliation.

Ne pensez pas que cette série d’attaques contre l’Islam, n’entrave la réalisation de cette réconciliation ?
Il n’est pas vrai que ce qui se passe soit une guerre contre l’Islam, car l’offensive ne vise pas l’Islam seul, mais il y a un nombre considérable de livres publiés en Occident qui critiquent et ridiculisent certaines pratiques de la religion chrétienne, ils ont même dénigré Jésus Christ. Cela signifie que c’est une guerre contre l’Islam, ceux qui attaquent l’Islam ne sont pas chrétiens, bien au contraire ce sont des gens sans foi qui sont responsables de ce qui se passe.

Pensez-vous que les querelles et conflits sans fin à l’échelon internationale, n’entravent la réalisation de la réconciliation ?
Le conflit actuel n’est pas religieux, c’est plutôt un jeu d’influence politique prenant les religions en otage, c’est le b-a-ba du nouveau langage dont nous finaliserons les grandes lignes.

A propos du nouveau langage du dialogue des religions, quels sont les arrière-plans qui ont donné naissance à l’appel que vous avez lancé dans le colloque de Madrid, qui a eu lieu le 15 janvier dernier ?
Cet appel est le résultat d’une véritable prise de conscience qui a vu le jour au colloque de Doha, tenu il y a deux ans. J’y ai reconnu que le dialogue des religions initié en 1998, date de la signature du traité historique entre Al-Azhar et le Vatican, ne s’adresse qu’à l’élite. J’ai dit alors que puisqu’il n’y a pas de différence d’approche au sein de cette élite, il faut chercher les moyens de transmettre le message de cette élite aux peuples. C’est l’objectif que j’ai annoncé après le colloque de Madrid, il y a deux ans à Doha, et que j’ai appelé « le Nouveau Langage du Dialogue des Religions ».

Jusqu’à quel point ce « Nouveau Langage du Dialogue des Religions » peut-il contribuer au changement de l’état actuel du dialogue ?
Je n’exagère pas en disant que cela constituera un virage à 180 degrés, ce nouveau langage, complètement différent du langage actuel, repose sur cinq nouveaux points et sera plus efficace.

Quels sont les cinq points inhérents à ce nouveau langage ?
Le premier point, c’est que les adeptes des trois religions monothéistes ne pensent pas être seuls et qu’il y a d’autres croyances et religions qui aspirent à jouer également un rôle pour aider au rapprochement.
Le deuxième point, c’est de faire la distinction entre le dialogue des religions et la coopération des cultures.
Le troisième point, c’est le rôle des médias internationaux pour éveiller la prise de conscience de l’opinion publique.
Le quatrième point, c’est de que le conflit des religions est intrinsèquement politique.
Enfin et c’est le plus important, que chacun de nous n’hésite pas a s’attirer la réprobation des siens en prenant partie pour le droit et la justice.

Que représentent ces cinq point eu égards aux conflits et incidents qui ensanglantent la terre de Palestine, qui dans leur ensemble ont pour base des causes religieuses et culturelles ?
En fait la vraie raison derrière la définition des cinq points inhérents au nouveau langage, réside en partie au refus de certains participants à ce dialogue notamment les Rabbins qui tiennent à garder le Mur de Séparation source d’hostilité et de haine entre les Palestiniens et les Israéliens, prétextant que les missiles lancés par les palestiniens justifient les raids aériens qu’Israël a menés récemment sur Gaza. De même et en toute franchise, il y a parmi les musulmans, ceux qui refusent de mélanger terrorisme, c’est-à-dire les attentats contre les civiles isolés et résistance qui est un droit légitime.

Quels objectifs de ce dialogue, dont le but était de contenir les tensions entre les peuples, ne se sont pas encore réalisés ?
Nous travaillons toujours dans ce sens.

Mais vous avez eu tendance à changer ces objectifs, est-ce que cela signifie que dès le début vous n’étiez pas sur la bonne voie ?
Avouer l’insuffisance des objectifs actuels et établir un nouveau langage sont les résultats d’une volonté de mettre les points sur les « i », fruit d’une autocritique du mode de travail et de moi-même, pour donner une nouvelle approche à la situation actuelle, mais cela ne signifie pas que nous n’étions pas sur la bonne voie.

Donc, qu’est ce qui vous a poussez à chercher un nouveau langage puisque vous étiez sur la bonne voie?
Le plus important c’est mon sentiment que nous sommes- c'est-à-dire nous les intéressés au dialogue des religions- encore enfermés dans le cadre des discours traditionnels. Je cite à titre d’exemple, le titre du colloque de Doha « Les Valeurs Spirituelles et la Paix Mondiale », un titre ample et vaste, pourtant, rien n’a été présenté de nouveau qui puisse être ajouté à ce qu’ont présenté précédemment les instances internationales. De même, les interventions des participants n’ont traité que trois points à savoir : les Dix Commandements, le Serment de Médine et l’Amour dans le message du Christ, qui a abouti au colloque de Madrid, et je le dis franchement, en rien différent des colloques précédents, notamment sur certains points auxquels je tenais, et souhaitais prendre comme base pour ce nouveau langage.

Y a-t-il un lien entre votre appel en la matière et votre décision de démissionner du Comité d’Al-Azhar pour le dialogue des religions, il y a deux ans ?
La démission fut la première étape de l’autocritique. J’avais une ambition pour le Comité d’Al-Azhar pour le Dialogue qui dépassait de loin ses moyens très limités, alors que les impératifs du dialogue sont illimités. Ceci exigeait de prendre une orientation différente comme le refus des méthodes de travail traditionnelles. Je n’étais moi-même pas exempt de critique, alors, j’ai pris en considération la volonté des décideurs de choisir des personnes qu’ils estiment plus capables que moi de porter le dialogue à un autre niveau. Certains voient, dans votre tendance à chercher un nouveau langage, un soutien aux attaques au dialogue et à ses institutions, aussi bien qu’un aveu de votre part de leur échec en vue de réaliser les objectifs que vous aviez assignés à ce dialogue.

Est- ce la raison qui vous a amenée à chercher un nouveau langage, comme une pierre jetée en eau stagnante ?
Les institutions du dialogue n’ont pas échoué et le langage actuel a accompli son rôle prévu en son temps.

Mais il fallait revenir au présent pour préparer l’avenir. Voulez-vous dire que le dialogue a répondu aux attentes ?
Je n’ai pas dit que les dialogues qui ont eu lieu, ont réalisé tout ce que l’on en attendait, mais seulement une partie. Et nous avons été capables de réaliser ce que j’appelle « éviter la confrontation ».

Les troubles sectaires reflètent-ils cette étape en vue d’« éviter la confrontation » dont vous parlez? Malgré les événements sectaires que certains donnent pour preuve de l’échec du dialogue et de ses institutions, j’affirme que le dialogue a réussi à établir des cadres sans lesquels les explosions actuelles seraient beaucoup plus graves que par le passé. Il reste encore beaucoup à faire au niveau de l’autocritique pour atteindre la perfection. Vingt six ans sont passés depuis la rencontre islamo-chrétienne en Jordanie qui a eu lieu en 1982.

Pourquoi a-t-il fallu attendre toutes ces années pour faire une autocritique ?
An niveau de l'Egypte, il n’y a pas de retard, le dialogue n’a commencé qu’il y a dix ans, comme j’ai déjà signalé lors de la signature de l’Accord du dialogue entre Al-Azhar et le Vatican.

La visite du Cardinal «Koenig », Cardinal de Vienne, au grand Imam Sheikh Gad El Haq Ali Gad El Haq, Sheikh d’Al-Azhar, en 1994, n’a-t-elle pas une étape du dialogue et n’a-t-elle pas été un préliminaire à la signature de l’accord qui a eu lieu trois ans plus tard? La visite n’était qu’une étape préliminaire dont a résulté, je ne le nie pas, la signature de l’accord par Al-Azhar. Quant à l’adhésion officielle de l’Egypte au dialogue, elle a commencé à partir de la date de la signature de l’accord en 1998. Ça c’est à propos de la visite.

Que dites-vous des colloques qui ont eu lieu avant la visite, font-ils partie aussi des étapes qu’a traversées l’Egypte pour adhérer au dialogue ? A part l’accord, toutes les autres tentatives ont eu lieu dans le cadre de la découverte du dialogue de base.

Pourquoi toutes ces tentatives ont-elles duré si longtemps ?
Car il nous a fallu bien étudier les éléments nécessaires au dialogue, tant sur le fond que sur la forme, dans la mesure où les autres avaient, en effet, entrepris des démarches, et que nous avons été confrontés à des difficultés compte tenu de nombreuses parties prenantes à ce dialogue, ce qui a requis plus de temps et d’efforts.

Les résultats furent-ils à la hauteur des efforts déployés et du temps passé ?
Des succès notables ont été enregistrés grâce au dialogue qui a commencé de zéro, juste des essais préliminaires à la reconnaissance de l’Autre, son acceptation et la coopération mutuelle, qui ont abouti à la signature d’un accord conjoint entre une institution religieuse islamique et une institution religieuse chrétienne, fait inattendu à l’époque.

Vous avez dit que l’appel lancé pour un nouveau langage a été initié au colloque de Doha, il y a deux ans, mais vous ne l’avez annoncé qu’à Madrid, pourquoi ?
L'importance du colloque du Madrid tient à la qualité des hautes personnalités qui y ont participé. Ceci m’a incité à profiter de sa tribune pour annoncer le nouveau langage. J’ai été étonné des réactions recueillies une fois terminé mon intervention : des réactions unanimes à participer à l’élaboration et à la mise en œuvre de ce nouveau langage exprimés par des doyens de facultés religieuses, des cardinaux, des personnalités des églises palestiniennes et des personnalités islamiques, de même que de M. Vendley, président de l’Institution du Dialogue et de la Paix aux Etats-Unis, qui m’a demandé de mettre en forme ce dialogue, m’assurant de son appui et de son adhésion immédiate. Quelles ont été les réactions des autorités égyptiennes ? Franchement, je ne les ai pas contactées, et une réponse positive de leur part m’aurait étonné.

Le fait que vous ne les ayez pas invitées à l’élaboration de ce nouveau langage, ne vient-il pas du fait que vous n’en attendiez pas de réponse positive ?
Cela n’a rien à voir. Il me suffit que ces gens veuillent que le dialogue progresse, selon l’expression qui dit : « nous traitons et non des personnes ».

Même si certains leaders d’Al-Azhar avaient refusé le dialogue de religion, considérant que c’était le souhait des églises occidentales ?
Je n’accepte pas que l’on sème la discorde entre moi et Al-Azhar ; de même les attaques menées par certains contre le dialogue en Egypte, au point même de m’accuser de vouloir convertir les Egyptiens au christianisme, ont été vaines.

Mais le désaccord, concernant la définition de certaines notions propres au dialogue des religions, existe encore. Le nouveau langage envisage-t-il de les repenser ?
Actuellement, une reformulation de certaines notions, dont « le conflit des religions », est en cours. En fait, il n’y a pas de conflit des religions mais plutôt conflit entre les adeptes des religions monothéistes et leur façon de dialoguer entre eux.

Il me semble que vous êtes optimiste au sujet du projet. Cela signifie-t-il que vous êtes certain de sa réussite ?
Entre les partisans des dialogues, il n’y a pas de garanties, il n’y a que de la bonne foi.

Mais la bonne foi n’a pas réussi à réaliser de nombreuses propositions antérieures, notamment le projet de loi sur le «mépris des religions » ?
Proposer, voila ce que l’on peut faire. Quant à la loi du « mépris des religions », les grandes lignes ont été posées sous forme de projet écrit adressé aux ministres des affaires étrangères demandant leur coopération pour en assurer le succès, mais cela n’a pas marché, car il s’agit de ce que j’appelle «une cause nationale ». En effet, tout nouveau tout beau, on s’emballe et on se calme, un projet fait place à un autre.

Cela signifie-t-il que le nouveau projet connaîtra le même sort ?
La réalisation des objectifs du nouveau langage relève de ma responsabilité ainsi que de celle des institutions qui sont avec moi. Seulement les responsables de ces institutions croient qu’il est temps de se solidariser afin de fonder une « Union internationale des institutions du dialogue ». Ainsi à l’annonce de la tenue d’un colloque qui retient l’attention de tout le monde, aucune institution ne revendiquera plus vouloir diriger ce dialogue, Il faut chercher des dénominateurs communs entre les institutions du dialogue dans le monde et qu’elles se soutiennent pour faire entendre leur voix.

Quelle sont les démarches que vous avez entreprises jusqu’à présent pour assurer la mise en œuvre de ce nouveau dialogue ?
Les suggestions propres aux objectifs du nouveau langage et sa formulation propre sont terminées, j'ai entamé des contacts en ce sens avec des organisations non gouvernementales aux Etats-Unis et en Europe, concernées par le dialogue et les contacts sont toujours en cours.