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Mar292012

Les fruits du dialogue: Une position ferme du Pape du Vatican et de l’Archevêque de Canterbury vis-à-vis de la guerre d’Irak

Al Ahram, 13/03/2003

Sur la scène internationale, il existe des personnalités de haut niveau qui ne possèdent ni armées ni pouvoir décisionnaire mondial mais qui possèdent ce qui est bien beaucoup plus important: la conscience des peuples. Ceux qui ont suivi, durant les dernières semaines, l’évolution de la situation en Irak, seront marqués par la voix de Sa Sainteté le Pape de Rome, Jean-Paul II et de celle du nouvel Archevêque de Canterbury, Dr Rowan Williams. Les hommes d’État tiennent grand compte des mots et des prises de position du Pape du Vatican étant donné sa popularité et sa préférence pour un langage direct en présence de milliers et parfois de millions de gens lors de rassemblements en plein air. 

De plus, il possède un sens des médias très fin qui le fait choisir le moment approprié pour annoncer au monde de brèves paroles retentissantes et influentes. Je me souviens de ses paroles lors du drame de Bosnie : « Si le Christ avait vécu cette tragédie de nos jours, les gouttes de sueur sur son visage seraient devenues des gouttes de sang ».

De même, à propos du drame des Palestiniens, il avait prononcé des mots, demeurés dans la mémoire de tous, comme la plus haute expression, montrant l'attachement des religions à la justice et leur refus de l’injustice. Ses paroles étaient dans son appui à la légitimité de la représentation de Yasser Arafat du peuple palestinien, à l’heure où Israël pesait de tout son poids pour mettre en doute cette légitimité. Il avait répété : « En ce qui nous concerne, le Président Yasser Arafat est le représentant légitime du peuple palestinien ».

Ces mots ont été rapportés, de sa part, par son Ministre des Affaires Étrangères, le 23/12/ 2002. Ce dernier avait insisté aussi sur la nécessité du respect de la légitimité internationale, par le retrait des territoires occupés ainsi que sur l’importance d’un retour à la table des négociations. Quant au rôle joué par la personnalité du Leader religieux de l’Église de Canterbury, les observateurs en Angleterre, même avant son sacre officiel (comme nouvel Archevêque), étaient tous d’accord que sa personnalité était très indépendante, même vis-à-vis de la politique du Premier Ministre anglais. Cela est considéré comme une situation unique puisque l'Eglise de Canterbury a à sa tête la Reine, et que celui qui propose la candidature de l'Archevêque c'est le Premier Ministre.

Quelles sont les causes de l’attitude du Pape du Vatican et ses motivations concernant son refus ferme vis-à-vis du choix de la guerre ?
Le premier rôle du Pape de Rome, comme Chef de l’Église (catholique occidentale) est de défendre les Chrétiens et en premier lieu les Catholiques. Il sait par expérience que c’est pendant les chocs et les confrontations de l’Histoire que l’on s’expose au danger de la généralisation des jugements et des comportements. C’est la raison pour laquelle il avait déclaré franchement qu’il craignait que toute explosion de situation entraîne une confrontation entre Musulmans et Chrétiens. Ses paroles furent traduites par son représentant au Dialogue, l’évêque Fitzgerald, Président du Conseil Pontifical pour le Dialogue, durant une réunion de la Commission Commune du Dialogue avec Al-Azhar le 24 février 2003. Le Pape avait suggéré, le 24 février 2003, pour le Projet de Déclaration Finale, comme explication des dangers de ces confrontations : « Ceci pourrait arriver à la suite d’une confusion « de cartes », si les Musulmans confondaient la décision de guerre avec une agression qui viendrait de l’Amérique majoritairement chrétienne contre l’Irak majoritairement musulman ». Le second rôle à tenir à la tête de l’Église (catholique) était de demander à ses membres de refuser cette « défaite contre l’Humanité », comme il avait surnommé la guerre.

Une autre explication de l’attitude du Pape du Vatican est que le Vatican, comme nous le savons, est aussi un État responsable de l’avenir de la Paix mondiale et qui exerce cette responsabilité par le biais de son Ministre des Affaires Étrangères et de ses Ambassadeurs. Il était donc normal, en tant que responsable de l’État du Vatican, que Sa Sainteté rencontre le Vice-Premier Ministre irakien, Tarek Aziz, homme d’État également, pour examiner avec lui l’application possible de l’équation des relations internationales qui se résume par l’expression: Distinguer ce qui est faisable de ce qui est impossible à réaliser pour un décideur.

 N.B: L'auteur a choisi de spécifier " le Pape du Vatican" ou " le Pape de Rome"; ce qui peut étonner le lecteur francophone. Etant égyptien, l'auteur ne peut oublier qu'il y a au Moyen-Orient d'autres Papes, comme celui de l'Eglise Copte-Orthodoxe d'Egypte, le Pape Chenouda III. L'auteur voulant ainsi éviter toute confusion. Il était pareillement normal que le Pape de Rome envoie, le 5 mars, son Ministre des Affaires Étrangères, à la rencontre du Président Bush, pour lui remettre en mains propres le point de vue du Pape Jean-Paul II refusant la guerre et avertissant le Président américain des dangers possibles d’une telle guerre par rapport au futur des relations islamo-chrétiennes. Il a aussi été dit que le Pape du Vatican avait exprimé son désir, si cela était nécessaire, de se rendre à New-York et de s’adresser au Conseil de Sécurité pour y exprimer son avis, comme dernière tentative de sauver les dernières chances de Paix.

Quelles sont les causes de l’attitude de l’Archevêque de Canterbury et ses motivations concernant son refus du choix de la guerre ?
L’Archevêque de Canterbury a, lui aussi, sa popularité en raison de son attitude et du langage indépendant qu’il a tenu concernant la guerre d’Irak. Il avait ses propres déclarations qui ont attiré l’attention des médias en Angleterre, en Europe et en Amérique dont les principales sont : "Lorsque nous pensons à la guerre, nous ressentons la défaite et le regret, car le choix des moyens pacifiques ne l’a pas emporté sur le choix de la guerre dont les conséquences sont toujours pénibles". C’était extrêmement audacieux de la part d’un Archevêque d’être contre la légitimité de cette guerre. De même il a souligné que les événements de ces derniers jours confirment le doute à propos de la légitimité de cette guerre et de ses motivations morales. Cela indique bien, a-t-il ajouté, que les séquelles de la guerre contre l’Irak et contre les peuples de la Région sont imprévisibles.

En outre, l’Archevêque a insisté sur l’importance du rôle des Nations Unies pour la résolution de la crise tout en déclarant qu'il est nécessaire que toutes les parties dans cette crise recherchent une solution, par le biais d'une participation totale de l’ONU, afin que soit assurée la poursuite de la perquisition concernant les armes de destruction massive, jusqu’à ce que le drame de la guerre et ses conséquences apparaissent comme inutiles. La responsabilité en tant que Chef de l’Église Anglicane a conduit Dr Rowan Williams à pousser les membres de l’Église Anglicane, qui compte dans le monde 70 millions d’âmes, à la prière et à la reconnaissance de leurs points faibles, pour être en paix avec Dieu, et les inviter à prier pour une Paix juste en Irak et au Moyen-Orient. Assumant une responsabilité plus générale, l’Archevêque de Canterbury, a aussi demandé au gouvernement de l’Irak d’appliquer les décisions onusiennes concernant les armes de destruction massive. Toujours conscient de sa responsabilité en général vis-à-vis de la Paix, objectif visé par toutes les religions monothéistes, il a rencontré, le 20 février 2003, par un rare précédent, le représentant du Vatican en Angleterre, le Cardinal Cormac Murphy O’Connor, afin d’harmoniser les positions au sujet de l’Irak et plus généralement de la Paix. Sachant la longue histoire de concurrence entre ces deux Églises, nous pouvons comprendre l’importance de cette initiative, d’où l’importance de la Déclaration Commune qui a suivi cette rencontre. Cette Déclaration Commune se résume essentiellement en quelques mots: « Les événements de ces derniers jours nous montrent que l’on doute toujours à propos de la légitimité morale de cette guerre, sans compter les conséquences humaines imprévisibles de la guerre contre l’Irak ».

L’Archevêque de Canterbury a voulu aussi déjouer habilement une tentative de confrontation Islamo-Chrétienne, lors de la cérémonie de son couronnement, comme nouvel Archevêque le 27 février 2003. C'était en présence de la délégation d'Al-Azhar représentée par son Éminence le Cheikh Fawzi Al-Zefzaf, Président de la Commission Permanente d’Al-Azhar pour le Dialogue des Religions Monothéistes, en compagnie de l'auteur de ces lignes. C'est une des raisons pour lesquelles il a décidé de les placer parmi les 40 personnes privilégiées sur les 2500 invités. Il a aussi déclaré dans son discours officiel lors du dîner : « Je dis aux Chrétiens que nous ne sommes pas tout seuls et que nous vivons en paix aux côtés des Musulmans dont je salue les représentants d’Al-Azhar, présents parmi nous en ce jour ». Une phrase saluée par des applaudissements des personnes présentes, tout en soulignant la présence des représentants du Grand Imam, Cheikh Al-Azhar. Il a voulu que la délégation d’Al-Azhar soit la première à le rencontrer le lendemain de son couronnement, le 28 février 2003, pour annoncer son grand intérêt et sa priorité donnés au renforcement et au développement de l’Accord signé entre Al-Azhar et l’Église de Canterbury, le 30 janvier 2002. Il a ajouté qu'il profiterait de la première occasion pour aller visiter l’Égypte.

Le Cheikh Fawzi Al-Zefzaf lui a confirmé qu'Al-Azhar et ses Ulémas appréciaient ses positions objectives et humaines au sujet de la guerre d’Irak. Il est naturel que les raisons pour lesquelles Son Eminence a refusé le choix de la guerre soient un reflet de sa personnalité. C'est un homme attaché aux idéaux, à la morale et à la légitimité, avec en plus la lucidité d’un chef religieux prenant en compte l’opinion et les sentiments de ces millions de personnes qui manifestent tous les jours à Londres et dans la plupart des villes européennes et quelquefois américaines, afin d’exprimer leur rejet du choix de la guerre. Pour d’autres raisons encore, l’Archevêque de Canterbury désire harmoniser ses positions avec celles du Pape du Vatican et avancer par le biais d'un langage contemporain, donc un langage de dialogue entre représentants des religions comme l’avait déjà initié le Vatican à Assise, - berceau de St François d’Assise celui que l'Histoire a retenu pour son refus de la guerre des Croisades-, dix ans plus tôt en Italie. Je suis sûr que Dr Rowan Williams, Archevêque de Canterbury pourra prochainement se distinguer en tant que l’un des Leaders mondiaux du dialogue, en le prouvant concrètement sur le terrain.

Le rôle joué par les Institutions Internationales dans la position ferme du Pape du Vatican et de l’Archevêque de Canterbury par rapport à la guerre en Irak 1. Un simple observateur qui suit de près les activités dans le cadre du Dialogue, pourrait ne pas réaliser l'importance de ce que nous appelons " la construction permanente" des ponts de confiance entre les institutions religieuses internationales. 2. Cet échange actif est assumé par différentes Institutions du Dialogue et à sa tête la Commission Permanente d’Al-Azhar pour le Dialogue des Religions et la Commission du Dialogue du Conseil Supérieur des Affaires Islamiques que j’ai l’honneur de présider et qui a préparé nombres d'études et publications pour répondre à la plupart des questions adressées à l’Islam et aux Musulmans. 3. Les compétences du Président du Conseil Supérieur des Affaires Islamiques, Dr Hamdi Zaqzouq, et sa communication efficace avec la mentalité occidentale qu’il connait bien en raison de son passé et de sa formation ainsi que l'Union Internationale du Dialogue Judéo-Islamo-Chrétien et l'Education de la Paix, à Paris, l’« ADIC » que j’ai aussi l’honneur de présider, ont joué un rôle primordial dans cette affaire. 4. Le Vatican est la première institution religieuse internationale avec laquelle nous avons signé un accord de coopération, le 28 mai 1998, vient ensuite l’Église Anglicane, le 30 janvier 2002, accords précédés par de nombreuses rencontres, avant de parvenir au minimum de langage commun. 5. Les Conférences internationales à Bruxelles, à Londres, à Alexandrie, à New-York et dans d’autres capitales ont montré l’importance de coordonner ces positions. J’avoue que l’orgueil est une grave faute, mais la fausse humilité l’est aussi. Celle-ci se fait sur le compte de la clarté de l’image aux yeux de ceux qui se demandent, en Égypte et dans d’autres pays arabes, à quoi sert le dialogue et ses institutions. Je leur dis très humblement : Rien ne provient du néant et les prises de position honorables adoptées par les Chefs de l’Église de Rome et de celle de Canterbury, ne sont que le résultat d’une action sans relâche des Commissions Communes pour le Dialogue, durant de longues années. Ceux-là savent qu'Al-Azhar et le Conseil Supérieur des Affaires Islamiques sont des institutions qui œuvrent à soutenir et à renforcer les valeurs de la Paix, de la Tolérance et du centrisme (le juste milieu). Ils continuent à coopérer étroitement avec ces Églises, à contribuer fortement pour lutter contre toute attaque mondiale éventuelle qui cherche à faire des religions le point de départ des conflits et des confrontations et qui essaye de donner une légitimité à l’injustice et à la destruction. En toute objectivité, je déclare que les Institutions du dialogue ont fourni, du moins de notre côté, le maximum d’efforts possibles dans la limite des possibilités et des énergies disponibles. Si jamais un homme sincère me demande si cela suffit, je lui répondrai, en toute objectivité et franchise, que nous sommes encore loin du compte, en action et en mouvement, et qu’il nous est demandé une immense capacité d’organisation pour parler le langage de notre époque et répondre à la guerre sur Internet. C’est pourquoi je profite de cette tribune libre « Causes et Opinions » dans le quotidien « Al-Ahram » qui est toujours le lieu d’innovation et de liberté d’opinions et de paroles. Je vous invite tous à soutenir l’action des Commissions du Dialogue et des Institutions concernées lors de cette phase historique de la vie de la nation arabe et musulmane afin qu'elles puissent assumer sa propre responsabilité.