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Mar292012

Téhéran : Khomeini n’est pas l’unique "Ayatollah"

Al Ahram, 19/06/1979

L’Ayatollah Madary :« Coopérons pour protéger l’Islam afghan. L’Egypte occupe le premier rang parmi les pays de l’Orient qui assument la responsabilité.»

J’ai passé une journée entière au sein de « Dar Et-Tabligh Al-Islami » - maison de prédication islamique-, cet institut religieux de Qom qui a formé la plupart des savants Chiites. L’étudiant des sciences religieuses entame sa vie sous le titre de « Modjtahid », ensuite il se spécialise dans l’une des disciplines de la religion. J’étais surpris de savoir qu’un religieux puisse poursuivre la pratique de ses missions de prédication, tout en étant pas forcément lié à l’évolution de son cadre professionnel. La continuité de sa carrière étant plutôt étroitement liée au nombre des gens qui pourraient le suivre, l'écouter et être convaincus par ses propos.

Lors du discours des Leaders religieux, j'ai remarqué l'indépendance d'opinion, l’esprit critique et la réévaluation constante des faits. Suivre de près les attitudes de Ayatollah Talkani, un des hommes de Khomeini, résidant à Téhéran, nous a permis de constater son désaccord avec Khomeini concernant le port du voile par les femmes iraniennes. Il est allé jusqu’à déclarer à la télévision que le voile est préférable et recommandé mais jamais un acte forcé ni un acte d’obligation. De même, ceux qui écoutent les propos de Ayatollah Montaziry, qui a assumé une grande partie du combat sur le sol iranien avant le retour de Khomeini aux pays, ont senti le grand effort déployé par cet homme afin que Khomeini remporte la victoire et assure son retour.

Pourtant, dès que Montaziry commence a parlé de l’Islam et de l’Iran, nous constatons cependant qu’il ne mentionne même pas une seule fois, le nom de Khomeini en tant que référence, confirmant ainsi son indépendance propre. Concernant le titre « Ayatollah » en Iran, j’ai appris de M. Intechar, l’un de ces iraniens actif, intelligent et responsable de la coopération avec les pays arabes, connu pour sa grande activité et son intelligence, que le terme n’est pas un titre professionnel qui reflète le grade propre aux cadres religieux aboutissant au sommet de l’hiérarchie religieux mais simplement un titre équivalant à «Son Eminence ».

A part Khomeini, il existe une autre personnalité iranienne bien influente : M. Bani Sadr, considéré comme son conseiller économique. Il est, aussi, un prédicateur qui fait le tour des universités, des différentes provinces, des camps militaires et des usines pour prêcher les principes de la République Islamique ainsi que son système économique. Bien que Bani Sadr observe minutieusement les principes religieux, il n'a accepté aucun poste officiel jusqu’à présent. Cependant, il est devenu une personnalité nationale grâce à la télévision qui couvrait toutes ses rencontres. Sans aucun doute, la personne la plus importante en Iran en dehors de Khomeini est l’Ayatollah Es-Said Kazim Charia Madary, âgé de soixante dix ans, directeur de l’institut religieux de Qom. Quand je me suis rendu chez lui, j’ai été surpris du grand nombre d’assistants, de disciples et d’adeptes qui l'entouraient. J’ai eu l’impression que la plupart des hommes de religion lui vouaient un grand respect. Dès qu’il est entré dans la bibliothèque où je l’attendais, j’ai vu son visage refléter une certaine sérénité, piété et croyance mêlée de foi. Dès qu’il m’a salué, j’ai senti la chaleur humaine dans le timbre de sa voix.

Il donne une image complètement différente de celle donnée par Khomeini. Pendant une heure, nous avons abordé en toute franchise tous les sujets. De ce long entretien, je me contenterai de publier l’appel qu’il a lancé à l’Egypte, protectrice de l’Islam. «l’Islam» m’a-t-il dit, «est basé sur la communication, la compréhension et l’affection entre les musulmans. Nous, les Chiites, aussi bien que les Sunnites, nous croyons en un même Dieu unique et au même Livre : le Coran. Il nous incombe donc de ne donner ni aux étrangers, ni aux colonisateurs, ni aux conspirateurs l’occasion de semer la discorde entre nous». Il a ajouté que chacun de nous doit comprendre l’autre et éprouver des sentiments d’affection envers lui. Il a affirmé que ses relations avec les Sunnites sont bonnes et fortes. J’ai eu l’impression que cet homme déteste que l’Iran prenne ses distances par rapport à l’Egypte. Il a déclaré que séparer ces deux peuples musulmans n’est qu’un service rendu à nos ennemis. Il a ensuite rapporté les paroles suivantes du Cheikh Mohammad Hussein Kachif Al-Ghataa’ : «Le message du Prophète –Que la paix et la bénédiction d’Allah soient sur lui-, se résume en deux mots : croire en un Dieu seul et unique et prendre une position unifiée.» 

Madary conclut en faisant l’éloge du rôle de l’Egypte dans le monde islamique, soulignant que l’Egypte occupe toujours le premier rang parmi les pays de l’Orient qui assume la responsabilité islamique. A la fin de notre entretien, l’Ayatollah Madary a demandé de coopérer avec l’Egypte dans le domaine de la communication. «Je voudrais », a-t-il poursuivi, «que l’Egypte, ce pays musulman, s’intéresse à diffuser mon appel à condamner les tentatives du régime communiste en Afghanistan qui cherche à combattre l’Islam et protéger l’Islam en Afghanistan. « Avant que je ne le quitte, il m’a chargé de saluer, en son nom, à travers les médias, le peuple musulman de l’Egypte.« Les deux peuples, égyptien et iranien, connaissent bien le sens de la fraternité,»a-t-il souligné.

Conclusion A ce stade, une question s’impose : «Quel est l’avenir des relations égypto-iraniennes?» Malgré tout, je confirme de là où je suis sur le sol iranien que l’homme de la rue en Iran voue à l’Egypte respect, estime, ainsi qu’une véritable affection. De même l'Egypte compte de nombreux amis parmi les leaders religieux et dans les milieux politiques iraniens. Au moment où quelques éléments déclenchaient une compagne violente et agressive contre la politique égyptienne, Dr Samir Safwat, ambassadeur d’Egypte en Iran, un des rares ambassadeurs qui pouvait rencontrer M. Sangabi , Ministre des Affaires Etrangères iraniennes, le jour même de la demande du rendez-vous.

De même, l’ambassadeur égyptien entretenait des relations d’affection et d’estime avec certains nombres de secrétaires d’état iraniens qui ont favorisé la bonne ambiance de travail malgré une situation dangereuse. Sans être excessivement optimiste, je pense que le tourbillon actuel ne durera pas longtemps. Certains iraniens découvriront la gravité des complots de quelques professionnels au sein de certains régimes arabes. Ces derniers ont réussi à priver l’Iran, provisoirement, du soutien égyptien.

L’Iran s’expose actuellement à une compagne à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières. L’Ayatollah Khomeini découvrira que l’influence de l’Egypte aux niveaux international et islamique est plus durable pour l’Iran et pour son peuple musulman que celle des opportunistes professionnels qui savent saisir les occasions pour falsifier la réalité.

L’avenir de l’Iran ?

Face au danger des conflits internes qui menacent l’unité et la souveraineté de l’Iran sur les territoires de Kurdistan et à l’Arabistan, Face au danger aux ambitions soviétiques qui ont déjà occupé des territoires iraniens d’Azerbaïdjan au cours de la Guerre Mondiale, Face aux espoirs des Etats-Unis de récupérer leurs places, Face à tous ces dangers, je crois, sans pour autant prétendre avoir le don de prédire l’avenir politique, qu’il existe trois hypothèses possibles à cette situation critique:

La première: voir l’Islam modéré triompher en Iran, en acceptant de coexister avec les autres courants et voir la formation d'une nouvelle armée iranienne de défendre les territoires iraniens.
La deuxième: le déclenchement d'une guerre du fait de l’impuissance à mettre fin au conflit interne donnant ainsi aux mouvements séparatistes l'occasion de réaliser aux leurs objectifs.
La troisième: la lassitude du peuple iranien face à une si longue période d’instabilité et de conflits. C'est alors que de nouveaux éléments militaires pourront faire un Coup d’Etat, afin de réaliser la stabilité en lançant le slogan suivant : Ni le Shah, ni Khomeini.
Mais par souci de réalisme politique, il faut prendre en considération le fait que des millions d’Iraniens soutiennent toujours Khomeini et qu’ils sont prêts à défendre son mouvement.