« Message de Monseigneur Mounir HANNA ANIS | Main | Madame Anne-Marie RECOVLEVSKI »
Saturday
Mar092019

Monsieur Edmond LISLE

Président de la « Fraternité d’Abraham »

Nous venons d’entendre des témoignages très émouvants sur Aly El-Samman. Il me revient le privilège de vous relater ce qu’il était pour la Fraternité d’Abraham, dont il était un ami et un conseiller très proche et un de nos plus anciens adhérents. Je rappelle que la Fraternité d’Abraham a été fondée en juin 1967, à la Mosquée de Paris, pendant la guerre des Six Jours. La date et le lieu sont hautement significatifs : nos quatre fondateurs – Si Hamza Boubakeur, Recteur de la Mosquée, le Père Michel Riquet, Jésuite, résistant, déporté, André Chouraqui, traducteur de la Bible hébraïque, du Nouveau Testament et du Coran et Jacques Nantet, diplomate – voulaient mettre en œuvre le rapprochement avec leurs frères musulmans préconisé par Nostra Aetate suite au Concile de Vatican II. Et ils voulaient signifier, en juin 1967, que les religions monothéistes sont facteurs de paix et de réconciliation, non de guerre.

D’Aly El-Samman je dirais simplement qu’il était l’adhérent « modèle » de notre Fraternité :

1° Laïc, Aly était un croyant convaincu et éclairé d’une de nos trois familles : un Musulman profondément croyant et pratiquant, connaissant parfaitement les enseignements de sa religion. S’opposant au fanatisme des Frères musulmans qui affirmaient : « L’islam, c’est la solution », il disait simplement : « Personne n’a le monopole de la parole de Dieu ou de l’interprétation de la parole de Dieu. Personne n’a le monopole de déterminer quelle est la place des êtres auprès de Dieu ».

2° Il était aussi très cultivé. Il était juriste de formation, c’est à dire qu’il pratiquait le métier de ceux qui sont les « ingénieurs de la société », qui façonnent, mettent en œuvre, interprètent et éventuellement corrigent les lois qui régissent le fonctionnement de nos sociétés.
Le descendant en quelque sorte de ce Prince d’Egypte, Moïse, le grand législateur qui reçut les Dix Paroles au Sinaï, ces Dix Paroles qui à l’origine de la « Déclaration Universelle des Droits de l’Homme », comme le rappelait René Cassin qui en fut l’un des principaux auteurs.

Cultivé, Aly El-Samman ne voyait aucune contradiction, bien au contraire, entre sa foi et la science  qu’il pratiquait - le droit. Il illustrait parfaitement ce propos de l’ancien Grand Rabbin d’Angleterre (maintenant Lord) Jonathan Sachs : « Science answers the question How : How does it all work ? Religion answers the question Why : Why are we here, » La science répond à la question : Comment ça marche ? La religion répond à la question : Pourquoi, pourquoi sommes-nous là ? Science et Religion ne s’opposent pas : elles vont de pair pour nous aider à comprendre qui nous sommes et d’où nous venons, et ce que nous devons faire pour que toute l’humanité devienne plus fraternelle et solidaire.

3° Aly était aussi convaincu de l’importance du dialogue, entre les peuples, entre les cultures et entre les religions. Aly El-Samman, musulman élevé dans une école chrétienne, rejoignit l’ADIC (L’Association pour le dialogue islamo-chrétien) en 1991. En 1993, il en devint Président et, convaincu qu’il fallait associer la communauté juive à ce dialogue, Aly El-Samman amena l’ADIC à élargir son champ et à changer de nom mais non de sigle et qu’elle devienne l’Association pour le dialogue judéo-islamo-chrétien. René-Samuel Sirat, Grand Rabbin de France de 1981 à 1988 puis Grand Rabbin du Consistoire central et Théo Klein, Président du CRIF de 1983 à 1989 rejoignirent alors l’ADIC. Il y eut alors, en quelque sorte, un échange de participations entre l’ADIC et la FA.

Le 13 juin 1994 l’ADIC organisait à la Sorbonne une grande conférence sur le dialogue interreligieux consacrant une partie importante des échanges au fanatisme religieux et à la violence meurtrière qu’il pouvait déchainer.

A la fin de la conférence, à l’invitation d’Aly El-Samman, les participants se prirent tous par la main et déclamèrent ensemble : « Il ne faut plus jamais séparer les enfants d’Abraham  ».

La conséquence majeure de cette rencontre fut la conclusion d’un accord entre le Vatican et l’Université Al Azhar, le 28 mai 1998. Mgr Michael Fitzgerald, ici présent, participait à cette réunion. Lors de la signature de l’accord, le cardinal Arinze déclara notamment : « Les membres de nos communautés représentent à eux seuls plus de la moitié de l’humanité. C’est dire que la paix dans le monde dépend grandement de la paix entre chrétiens et musulmans. Aussi le dialogue est-il nécessaire pour créer la confiance, sans laquelle il ne saurait y avoir de paix possible ».

Voilà, cher Aly qui tu étais,  qui tu es, qui tu seras toujours pour nous, à la Fraternité d’Abraham. Nous suivons ton exemple.